Le projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet » a en particulier pour objet de créer une Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet – dite HADOPI –, dont la mission sera chargée de veiller à la prévention et à la sanction de l’échange illicite d’œuvres.
Au cours de la discussion du texte à l’Assemblée Nationale, les députés ont adopté un amendement destiné à permettre à cette Haute Autorité d’attribuer, aux offres culturelles « légales », « un label permettant aux usagers de ce service d’identifier clairement le caractère légal de ces offres ». A priori, ceux qui proposeront ces offres seront libres d’afficher ou non ce label.
Mais ce ne sera pas le cas des outils de recherche ! Le même amendement prévoit que la Haute Autorité devra veiller « à la mise en place ainsi qu’à l’actualisation d’un système de référencement de ces mêmes offres par les logiciels permettant de trouver des ressources sur les réseaux de communications électroniques » (futur article L. 331-21-1 du code de la propriété intellectuelle).C’est un coup porté à la liberté éditoriale des outils de recherche.
Leur liberté éditoriale a été très tôt reconnue par les juges. « L’exercice de la fonction de guide de recherche sur internet n’implique pas d’obligations portant sur le référencement de la totalité des sites web », avait estimé le Conseil de la Concurrence (9 juin 2000). Ceux-ci ne sont pas non plus tenus d’adopter des « méthodes particulières de classement des sites, obligations très lourdes qui iraient à l’encontre d’une politique commerciale librement choisie ». Leur liberté de présentation et d’organisation des résultats n’est pas discutée depuis (voir par exemple, implicitement : CA Paris, 25 janvier 08, Dalloz, 2008, p. 609, obs. C. Manara).
Car on ne peut pas attendre d’un moteur de recherche ce que l’on n’exige pas d’un journal. Qui imaginerait ordonner que Le Monde ne commence plus par les pages internationales mais la rubrique sportive, tout en l’obligeant à faire figurer le dessin de Plantu ailleurs qu’en couverture, et en le contraignant à insérer de la publicité gratuite ?
Les parlementaires viennent pourtant de faire passer les moteurs de recherche sous la subordination de la Haute Autorité. Cette immixtion d’un organe public, restreignant la liberté de communication des éditeurs, est sans précédent. Il n’est guère que dans le Code de la défense que l’on trouve, au profit du Gouvernement, « le droit de requérir les personnes, les biens et les services » (article L. 2141-3 1°), et seulement en cas de mobilisation générale. Même dans le cas du système « d’alerte enlèvement », ce n’est pas par la contrainte que les autorités peuvent demander à quelques médias de diffuser un message quand un mineur a été enlevé, mais parce qu’elles ont obtenu leur accord (convention du 28 février 2006 visant à mettre en place un système d’alerte de la population en cas d’enlèvement d’un enfant mineur, article 9).
Ce n’était donc que dans le cas exceptionnel de menace de guerre qu’un organe de communication pouvait légalement être mise à contribution. Désormais, on le prévoit pour le référencement des offres de musique ou de vidéo sur internet ! Et demain ?
En quelques semaines, c’est la deuxième fois que les parlementaires s’attaquent aux structures du web. D’abord pour obliger à créer des hyperliens (Sans la liberté de lier, il n’est point d’internet, Juriscom.net, 9 mars 2009), maintenant pour hiérarchiser leur présentation. Cela peut paraître anodin, c’est au contraire funeste. Il ne faut pas confondre la régulation des usages avec la restriction de la communication par internet.
Cédric Manara
Professeur associé, EDHEC Business School (LegalEDHEC Research Center)
Membre du comité scientifique de Juriscom.net
http://www.cedricmanara.com/