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Rubrique : actualités / Branche : droit des obligations ; preuve ; responsabilité / Domaine : contenus et comportements illicites
Citation : Juriscom.net, Cédric Manara , L'éditeur d'un site n'est pas responsable des pubs qu'il héberge , Juriscom.net, 29/06/2004
 
 
L'éditeur d'un site n'est pas responsable des pubs qu'il héberge

Juriscom.net, Cédric Manara

édité sur le site Juriscom.net le 29/06/2004
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... ou quand une danseuse nue apprend que l’habit ne fait pas le moine

 

 

Danseuse nue à Washington D.C., où elle travaille pour le Nexus Gold Club, Elisabeth R. est sortie en 1999-2000 avec Daryl P., un joueur des Redskins, l’équipe locale de football américain. Pendant le temps de leur relation (dans laquelle elle était « sexually involved » est-il précisé dans la décision), Elisabeth a laissé Daryl réaliser une série de photos intimes dans le domicile de celle-ci.

 

Elle découvre plus tard, à son corps défendant, qu’Alonzo C., un ami de Daryl, a, récupéré deux de ces photographies ! C’est en visitant sur le web le site « Eros Guide », un service répertoriant des services érotiques, qu’elle s’est rendue compte que ces images sont utilisées dans une publicité pour « After Hours Entertainment », un club exploité par Alonzo se trouvant aussi dans la capitale des Etats-Unis (et figurant dans la section « Washington » de ce site qui permet d’organiser les recherches par zone géographique). Elle saisit la justice pour obtenir plusieurs centaines de milliers de dollars de dommages-intérêts, choisissant d’attaquer celle qui exploite le site « Eros Guide », la société Dark Side Productions.

 

Devant le juge, cette dernière explique que ceux qui souhaitent promouvoir sur son site des services légaux de loisirs adultes doivent fournir, en plus du prix, les contenus – images et textes – qui seront utilisés pour leur publicité. Après réception par les annonceur de ces contenus préformatés, le défendeur les classe par région et par thème (en l’espèce à l’intérieur des rubriques « Washington D.C. », « escortes », « danseuses » et « massage »). Le demandeur précise que la société Dark Side fait systématiquement figurer sur les publicités apparaissant sur son site l’adresse « eros-usa.com », et procède également à leur aquamarque (tatouage numérique invisible pour l’internaute, aussi appelé filigrane).

 

La société Dark Side indique pour sa défense qu’en vertu de ses conditions générales elle est indépendante de ses annonceurs, qu’elle n’a pas d’autres d’informations sur eux que celles affichées sur le site, que les visiteurs qui veulent contacter ces annonceurs doivent le faire directement et qu’elle ne fait pas suivre les e-mails. Elle précise aussi que figure dans les conditions d’utilisation du site une clause expliquant que les contenus publicitaires du site « Eros Guide » lui sont fournis sous la responsabilité des personnes qui paient pour qu’ils y apparaissent, et qu’« Eros Guide » n’assume aucune responsabilité quant au contenu de ces publicités et aux litiges qu’elles feraient naître [traduction libre].

 

En plus de ces arguments, le défendeur soutient qu’il est protégé par le paragraphe 230 du Communications Decency Act. Ce texte, qui a inspiré la plupart des régimes de responsabilité des hébergeurs en Europe, établit une distinction entre les fournisseurs d’hébergement et ceux de contenus afin de délimiter leur responsabilité et d’empêcher que les intermédiaires soient inquiétés (« no provider or user of an interactive computer service shall be treated as the publisher or speaker of any information provided by another information content provider »).

 

Selon l’avocat de la danseuse, l’éditeur du site « Eros Guide » ne peut être protégé par ce texte, et doit être considéré comme le responsable des publicités parce qu’il avait un rôle actif dans la mise en forme (si l’on ose écrire) des publicités (sera ici écarté un autre argument de la demanderesse s’appuyant sur une lecture erronée de ce même article).

 

Si la cour ne réfute pas qu’il y a eu lieu à modification des messages publicitaires par le responsable du site, elle considère que cela relève naturellement de l’activité de l’éditeur, lequel ne transforme pas la substance du matériau sur lequel il travaille : en l’espèce, la publicité avait été apportée par Alonzo, et seulement légèrement altérée pour apparaître sur le site. En concluant donc qu’un hébergeur n’est pas responsable des contenus qu’il n’a pas créés, le juge offre une décision très intéressante, raisonnable et adaptée.

 

Raisonnable et adaptée car est prise en compte l’impossibilité qu’a un éditeur de contrôler les contenus. En l’espèce des publicités lui étaient envoyées pour formatage, mais le plus souvent un hébergeur ne peut intervenir sur des éléments qui pourtant s’insèrent dans ses propres pages web, parce qu’ils sont créés de manière dynamique. Ainsi des bandeaux publicitaires peuvent-il apparaître sur un site en fonction du profil du consommateur et pas du contenu du site (c’est par exemple ce que propose la société DoubleClick [PDF]).

 

On peut aussi trouver sur une page des instruments de traçage utilisés à des fins statistiques. Qu’ils soient visibles (on songe aux logos des sociétés Médiamétrie-eStat ou Xiti) ou invisibles (c’est le cas des « web bugs », qui consistent en un pixel invisible destiné à recueillir des informations sur les visites de pages et à en permettre le traitement), ils relèvent du serveur auxquels ils sont liés plutôt qu’à celui de l’éditeur du site où ils sont incrustés. On peut encore insérer sur une page web un champ de saisie permettant d’effectuer des recherches sur un moteur (ce que Google propose, par exemple), ou d’autres applications – en laissant ici de côté la question de la propriété des instruments qui permettent de créer une page (applications Flash ou Java). Bref, une page web n’a d’unité que visuelle, car elle intègre des éléments provenant de sources très diverses. Il est donc préférable d’y voir un espace où voisinent des contenus d’auteurs différents, et il serait excessif d’y appliquer une sorte de théorie de l’apparence, pour faire peser sur l’éditeur d’un site une responsabilité générale.

 

Cédric Manara

Membre du Comité scientifique de Juriscom.net

Institute for International Law and Public Policy, Temple University Beasley School of Law

EDHEC Business School

 

 


 

 

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