Désignée comme centre de règlement extrajudiciaire des litiges portant sur les noms de domaine en « .eu », la Czech Arbitration Court a déjà été saisie de plus de deux cents requêtes. La plupart sont liées aux enregistrements intervenus au cours de la première phase de l’enregistrement par étapes, pendant laquelle seuls les marques nationales et communautaires enregistrées, les indications géographiques et certains autres signes pouvaient être proposés à l’enregistrement comme noms de domaine, par les titulaires et les licenciés de droits antérieurs (art. 12.2 du Règlement (CE) n° 874/2004 [ec.europa.eu] établissant les règles de politique d'intérêt général relatives à la mise en œuvre et aux fonctions du domaine de premier niveau .eu et les principes applicables en matière d'enregistrement).
Quatre nouvelles décisions ont été publiées cette semaine, suite à des litiges nés à propos de tels enregistrements. Elles sont présentées ci-dessous.
Désav.eu : une décision de l'EURid est annulée
La première décision (00181) [adreu.eurid.eu] annulant une décision de refus d'octroi d'un nom en .eu concerne une coopérative agricole française. Celle-ci détient la marque communautaire OSCAR depuis quelques mois, et a sollicité l'enregistrement d'oscar.eu dès le 7 décembre 2005, jour de l’ouverture des noms de domaine communautaires.
Il s'avère que le système d'enregistrement par lequel doivent passer les candidats à un nom en .eu ne permet de saisir que 30 caractères dans la zone où ils doivent décliner leur identité. De ce fait, la coopérative n'a mentionné que "SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE D" et pas l'intégralité de sa dénomination : "SOCIETE COOPERATIVE AGRICOLE DES PRODUCTEURS DE KIWIFRUITS DE FRANCE". En conséquence, le Registre ne lui a pas alloué le nom oscar.eu, la demande d'enregistrement ne fournissant pas le nom entier du candidat, et les documents envoyés par ce dernier ne permettant pas de corroborer que celui-ci était bien le titulaire de la marque correspondante.
L'article 3 du règlement communautaire sur le .eu prévoit que "toute inexactitude matérielle" dans "le nom et l'adresse de la partie qui introduit la demande" "constitue une violation des conditions d'enregistrement". C'est sur ce fondement que le Registre justifie son rejet de la demande.
Comment trancher ? En l'espèce, le Panel fait justement prévaloir la finalité du Règlement, qui est de protéger les droits antérieurs. Et remarque que les difficultés qui se sont élevées ne sont nées que d'une limitation technique du système de demandes d'enregistrement. Le candidat au nom a observé au mieux les obligations qui lui incombaient, et ne peut donc souffrir d'une décision de rejet.
Il faut maintenant espérer que cette "limitation technique" sera prochainement corrigée, de manière à éviter un contentieux inutile.
Enj.eu : A quel nom de domaine donne droit une marque comportant le signe "&" ?
C'est à propos de barcelona.com que l'on connut l'une des plus longues sagas judiciaires relatives à un nom de domaine et qu'est précisé le régime des demandes de noms formulées à partir d'une marque non exactement identique, mais incluant un caractère diacritique.
En l'occurrence, celui qui avait remporté le très disputé nom barcelona.eu disposait de la marque "BARC & ELONA". La ville de Barcelone contestait l'octroi du nom à ce tiers.
L'article 10.2 du Règlement prévoit que "l'enregistrement sur la base d'un droit antérieur consiste à enregistrer le nom complet sur lequel un droit antérieur est détenu, tel qu'il est mentionné dans la documentation attestant l'existence de ce droit". Quant à l'article 11, il dispose en son second alinéa que "lorsque le nom pour lequel des droits antérieurs sont invoqués contient des caractères spéciaux, des espaces ou des signes de ponctuation, ceux-ci doivent être éliminés du nom de domaine correspondant, remplacés par des traits d'union ou, lorsque cela est possible, exprimés par des caractères normaux", cet article indiquant que "les caractères spéciaux et signes de ponctuation visés au deuxième alinéa sont notamment les suivants: ~ @ # $ % ^ & * ( ) + = < > { } [ ] | /: ; ' , . ?".
Le Panel souligne l'ambiguïté de l'article 11, en premier lieu quant au sujet de droit qui doit "éliminer" les caractères spéciaux : s'agit-il du Registre, ou du candidat au nom ? Le Panel penche pour le second. Ce candidat au nom dispose-t-il d'un choix entre les options offertes par l'article 11 (remplacer par un trait d'union ou exprimer par des caractères normaux). Telle n'est pas l'interprétation retenue dans la décision : selon le Panel, l'expression "lorsque cela est possible" ("if possible" dans le texte original) n'est pas une simple invitation mais doit être comprise comme une obligation de transcrire un caractère spécial en "caractères normaux" dès qu'une telle faculté existe.
Le demandeur aurait donc dû utiliser "AND" à la place de "&", plutôt que de supprimer ce caractère particulier : "the Prior Rights should have been rewritten as BARCANDELONA", écrit l'Expert (la question peut toutefois se poser de la nécessité d'utiliser "and" plutôt que "et", "y" ou "und"). La décision du Registre est donc annulée (sans que soit ordonné le transfert du nom au profit du requérant, possibilité pourtant offerte par l'article 22.11 du Règlement - Décision 00398).
Celui qui se voit ainsi privé de barcelona.eu risque certainement, par ricochet, de perdre aussi d'autres noms qu'il a pu remporter, ainsi que les investissements dans les marques AMST & ERDAM, ATH & ENS, BIRM & INGHAM, BEL & ARUS, BO & OSNIA, etc.
On s’en doutait un p.eu : celui qui demande l'enregistrement d'un nom de domaine correspondant à une marque doit prouver qu’il est le titulaire de cette marque
Le titulaire de la marque allemande BPW avait demandé à enregistrer bpw.eu le jour de l'ouverture de l'extension européenne. Les documents démontrant qu'il pouvait légitimement prétendre à ce nom sont parvenus deux jours plus tard.
Le demandeur a essuyé un refus, après qu'il fut estimé que les documents ne démontraient pas que celui-ci pouvait faire valoir des droits antérieurs (l'article 14 du Règlement prévoit que "les droits antérieurs invoqués en vertu de l'article 10, paragraphes 1 et 2, doivent pouvoir être vérifiés sur la base de pièces justificatives qui démontrent la réalité des droits au regard de la loi qui les accorde", et que "chaque demandeur doit présenter des pièces justificatives démontrant qu'il est le titulaire du droit antérieur qu'il fait valoir sur le nom concerné"). La charge de la preuve pèse donc sur le prétendant à un nom, résume le Panel, et ce prétendant ne peut contester la décision de refus du Registre qui constate que les documents fournis ne sont pas suffisants. En l'espèce en effet, la copie de la marque produite ne permettait pas de constater qui en était le titulaire (décision 00127).
Antij.eu : Bingo ne rapporte pas
Exerçant à titre individuel en Allemagne, M. Single vend depuis 1989 des équipements destinés aux dentistes (couronnes, implants, etc.). Il est titulaire de la marque “bin GO” depuis le second semestre 2005, déposée en Allemagne pour différents produits liés à son activité.
C'est au premier semestre 2005 et toujours en Allemagne, que la société Dentikon GmbH, fournissant des services internet, a enregistré la marque semi-figurative “BINGO”. C'est cette société qui a "remporté" le nom de domaine bingo.eu le 8 mars 2006. Cette décision est contestée par M. Single, pour qui l'adversaire n'avait pas de droits antérieurs au sens du règlement communautaire 874/2004.
Pour le panel, le Registre a correctement fait application des règles dans le cas d'une marque semi-figurative dans laquelle le nom est prédominant et qui peut aisément être séparé de l'ensemble (décision 00210).
Cédric Manara
Membre du comité scientifique de Juriscom.net
Professeur associé, EDHEC Business School
Panelist, Czech Arbitration Court / Arbitration Center for .eu Disputes