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Rubrique : jurisprudence - texte / Branche : propriété littéraire et artistique / Domaine : droits d'auteur et droits voisins
Citation : , TGI Paris, 20 mai 2008, SAIF c/ Google France et Google Inc. , Juriscom.net, 20/05/2008
 
 
TGI Paris, 20 mai 2008, SAIF c/ Google France et Google Inc.

édité sur le site Juriscom.net le 20/05/2008
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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

3ème chambre - 1ère section, le 20 mai 2008

Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe c/ Google France et Google Inc

Mots clés : moteur de recherche - reproduction - représentation - loi fédérale américaine (oui) - fair use (oui)

Décision intégrale :

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie COURBOULAY, Vice Présidente

 

Cécile VITON, Juge

 

Sylvie LEFAIX, Juge placée, déléguée au Tribunal de Grande Instance de Paris en vertu d'une ordonnance du 1er président de la Cour d’Appel de Paris en date du 31 mars 2008, et déléguée à la 3e chambre en vertu d'une ordonnance du président du  Tribunal de Grande Instance de Paris en date du 31 mars 2008,

 

assistées de Léoncia BELLON, Greffier

 

DEBATS

 

A l’audience du 01 Avril 2008

tenue publiquement

 

JUGEMENT

 

Prononcé par remise au greffe

Contradictoirement

en premier ressort

 

FAITS ET PROCÉDURE

 

Par exploit en date du 17 août 2005, la Société des Auteurs des Arts Visuels et de l’Image Fixe dénommée SAIF a fait assigner la société Google Inc et la société Google France aux fins de voir constater que ces deux sociétés commettent des actes de contrefaçon par représentation et reproduction en proposant aux internautes par l’intermédiaire du moteur de recherche Google Images de visualiser des milliers d’oeuvres appartenant à son répertoire et ce sans son autorisation.

 

Dans ses dernières écritures en date du 19 mars 2008, la SAIF a demandé au tribunal de :

 

Sur la recevabilité

 

Constater que la SAIF a communiqué son répertoire aux sociétés défenderesses dans les conditions  conformes aux prescriptions de l’article L 321-7 du Code de la propriété intellectuelle.

 

A titre subsidiaire,

Donner acte à la SAIF qu’elle est disposée à tenir l’intégralité de son répertoire et des actes d’adhésion de ses membres à la disposition aux sociétés Google pour une consultation en ses locaux.

 

En conséquence,

Dire la SAIF recevable en ses  demandes.

Débouter les sociétés Google de leurs demandes, en ce compris de leurs demandes de mise hors de cause de la société Google France .

 

Sur le fond

 

Dire qu’en reproduisant et en représentant sans autorisation préalable et expresse de la SAIF des oeuvres de ses membres, la société Google Inc et la société Google France ont commis des actes de contrefaçon au sens des articles L 122-4 et L 335-2 du Code de la propriété intellectuelle,

 

Dire qu’en reproduisant et en représentant sans autorisation préalable et expresse de la SAIF des oeuvres de ses membres, la société Google Inc et la société Google France ont porté atteinte à l’intérêt collectif des  auteurs professionnels dont la SAIF défend les intérêts.

 

Condamner la société Google Inc et la société Google France in solidum à verser à la SAIF la somme de 80.000.000 euros à titre d’indemnité réparatrice du préjudice patrimonial causé aux auteurs membres de la SAIF.

Condamner la société Google Inc et la société Google France in solidum à verser à la SAIF la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle subit du fait de l’atteinte à l’intérêt collectif des professions qu’elle représente.

 

Faire interdiction à la société Google Inc et à la société Google France de poursuivre l’exploitation des oeuvres des membres de la SAIF et ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter du jugement à intervenir sauf à conclure avec la SAIF un contrat général de représentation les autorisant à exploiter les oeuvres de son répertoire selon les délais et l’astreinte qu’il plaira au tribunal de fixer.

Condamner la société Google Inc et la société Google France in solidum à verser à la SAIF la somme de 60.000 euros incluant les frais de constat et d’honoraires d’avocats engagés, sur le fondement  de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Condamner la société Google Inc et la société Google France in solidum aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Gilles Vercken conformément à l’article 699 du code de procédure civile .

Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

 

Dans leurs conclusions récapitulatives en date du 26 mars 2008, la société Google Inc et la société Google France  ont sollicité du tribunal de :

 

Sur la recevabilité

 

Constater que la SAIF ne justifie de l’étendue des droits cédés que pour dix de ses membres dont elle a communiqué les actes d’adhésion.

 

Par conséquent,

Dire irrecevable en application de l’article 32 du code de procédure civile, à l’exception des dix membres pour lesquels elle verse les actes d’adhésion, l’action de la SAIF, à défaut de justifier de sa qualité à agir.

 

Dire la SAIF irrecevable à agir pour défendre l’intérêt collectif des professions qu’elle représente.

Constater que la SAIF sollicite à l’encontre des sociétés Google le prononcé d’une interdiction de portée générale.

 

Dire que l’objet de l’action de la SAIF n’est pas suffisamment défini et par conséquent déclarer irrecevables les  demandes qu’elle formule.

 

Constater que la société Google France est étrangère aux faits qui sont à l’origine du présent litige et en conséquence dire que les demandes formées à son encontre sont mal dirigées.

 

 Débouter la SAIF de toutes les demandes formées à l’encontre de la société Google France .

 

Sur le fond

 

Dire que la loi fédérale américaine et notamment les articles 106 et suivants du copyright américain sont applicables au présent litige.

 

Dire qu’en application de la loi américaine l’exploitation du moteur de recherches Google images répond au x conditions posées par l’exception du “fair use” et ne porte pas atteinte aux droits des auteurs membres de la SAIF.

 

A titre subsidiaire,

Dire que l’exploitation du moteur de recherches Google Images ne porte pas atteinte à l’exploitation normale des oeuvres des auteurs ni ne leur cause de préjudice.

 

Dire qu’un régime de responsabilité analogue à celui des moteurs de recherches textuels ou des autres intermédiaires techniques doit être appliqué à la société Google Inc dans le cadre du fonctionnement de son moteur de recherches Google Images.

 

Par conséquent,

Dire qu’en exploitant le moteur de recherches Google Images, la société Google Inc ne commet aucun acte de contrefaçon des droits des  auteurs membres de la SAIF ni ne porte atteinte aux intérêts des professions représentées par la SAIF;

 

Donner acte à la société Google Inc qu’elle s’engage à déréférencer des résultats de son moteur de recherches Google Images les photographies et autres images qui selon la SAIF, portent atteinte aux droits de ses membres dès lors que la SAIF lui aura communiqué les adresses url des sites contenant des images et photographies litigieuses.

 

A titre subsidiaire,

Dire en application de l’article L 122-5 3 du Code de la propriété intellectuelle que l’indexation sous forme de vignettes par le moteur de recherches Google Images des photographies et autres images contenues sur les sites internet des tiers répond aux conditions de la courte citation.

 

Dire irrecevables et à tout le moins mal fondées les demandes d’indemnisation sollicitées par la SAIF.

 

Par conséquent,

 

Débouter la SAIF de toutes ses demandes.

 

Condamner la SAIF à verser à la société Google Inc et à la société Google France l somme 60.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

Condamner la SAIF aux dépens dont distraction au profit du Cabinet Herbert Smith LLP en application de l’article 699 du code de procédure civile.

 

La clôture a été prononcée le 26 mars 2008.

 

Motifs

 

La  société GOOGLE Inc fondée au mois de septembre 1998 est le développeur du moteur de recherche conçu pour offrir un moyen simple et rapide de recherche d’informations sur internet.

 

Tous les sites sont hébergés par la société GOOGLE Inc dans ses locaux de Mountain View en Californie.

 

Sur la page d’accueil de ce site, est proposé le service de recherche mais également à partir de pages secondaires, de nombreux autres services plus spécialisés : recherches d’images (Google Image), de vidéos (Google Video), de livres (Google Recherche de Livres), d’actualités (Google News). La méthode de recherches est toujours la même : l’internaute entre un mot-clé dans le cadre prévu à cet effet et le moteur de recherches propose une ou plusieurs pages de résultats naturels répondant à ce choix, à partir des références sélectionnées qu’il a collectées sur l’ensemble du Web ; les moteurs de recherche ne stockent pas les images, les vidéos ou les actualités mais seulement les adresses des sites internet qui permettent de répondre à la question que se pose l’internaute et de le diriger vers le site qui contient la réponse à sa question.

 

Pour ce qui est de Google Image, l’internaute recherche une image en tapant le nom de l’auteur, ou un titre, ou un thème ; apparaît la page de résultat qui mentionne les sites mais reproduit également de multiples images en format standardisé appelé vignette représentant le résultat de la recherche.

 

Sous chacune des images sont mentionnés le site sur lequel l’image a été visualisée, la résolution de l’image, son poids ainsi que l’adresse du chemin d’accès vers la source initiale.

 

La SAIF  a fait dresser un procès-verbal de constat par l’APP le 20 juillet 2004.

 

Par courrier en date du 24 novembre 2004, la SAIF a mis la société GOOGLE Inc en demeure de lui indiquer les mesures qu’elle comptait prendre pour régulariser l’exploitation des oeuvres figurant à son répertoire ou à défaut de cesser toute exploitation des oeuvres.

 

A titre préliminaire, il convient de constater que la SAIF ne conteste pas la légitimité même du moteur de recherches mais entend, obtenir par la signature d’un contrat général de représentation, une indemnisation globale du fait de la représentation des oeuvres de ses membres.

 

-sur la mise hors de cause de société Google France .

 

Des pièces versées au débat et des explications des parties, il ressort que la société GOOGLE FRANCE, société française créée en 2002, est une filiale de la société GOOGLE Inc dont elle n’a reçu aucun pouvoir quant à l’administration du moteur de recherche sur le  territoire français, ni pour représenter en France la société américaine ; que la société GOOGLE Inc est l’entité qui contrôle, dirige et prend toutes les décisions concernant l’activité du moteur de recherche qui représente le coeur de son l’activité, y compris celui de google images rédigé en français et accessible à l’adresse www.google.fr.

 

En conséquence, les faits de contrefaçon reprochés par la SAIF à la société GOOGLE FRANCE étant relatifs à l’activité du moteur de recherche de la société Google Inc, y compris à partir du site www.google.fr. par des internautes français ou internationaux et y compris pour des actes constatés sur le territoire français, l’action de la SAIF  est mal dirigée à l’encontre de la société GOOGLE FRANCE qui sera mise hors de cause.

 

-sur la recevabilité de la SAIF

 

La SAIF fait valoir qu’elle est une société de gestion collective et que comme telle elle est habilitée à agir en justice pour la défense des droits patrimoniaux des auteurs qui ont fait apport de leurs oeuvres à son répertoire. Elle prétend qu’elle ne peut établir tous les actes de contrefaçon qui sont intervenus ; que lui demander une telle chose est lui imposer de rapporter une preuve diabolique. Elle verse au débat certaines adhésions (Raymond Depardon, Jacques de Loustal, Gérard Lauzier, Martin Veyron, Jane Atwood, jean-Claude Mézières, Auguste Perret, Dominique Isserman, Yan Arthus-Bertrand, Sebastiao Salgado) et certains exemples de contrefaçon à l’encontre de ses membres tels que Doisneau, Henri Cartier-Bresson, William Klein, Yan Arthus-Bertrand, Sebastiao Salgado, Frédéric Buxin.

 

La société GOOGLE Inc répond que pour être recevable la SAIF doit préciser pour quels auteurs elle intervient, au sujet de quelles contrefaçons et quelles sont les sommes demandées pour chacun d’eux.

 

Conformément aux dispositions de l’article L 321-1 du Code de la propriété intellectuelle, la SAIF est habilitée à agir en justice pour défendre les intérêts individuels et personnels de ses photographes, à condition que ceux-ci soient membres de la SAIF et qu’ils aient fait apport de leurs oeuvres  ; ce faisant, elle agit dans le cadre de sa mission qui est de percevoir les droits ou dommages et intérêts devant leur revenir pour pouvoir ensuite les répartir; la capacité à agir sans que auteurs ne soient membres de la SAIF n’est reconnue par ses statuts que pour ce qui est de la défense de l’intérêt collectif de la profession.

 

En conséquence, la SAIF doit, lorsqu’elle agit en défense des intérêts de ses membres, les dénommer dans son assignation et dans ses écritures et préciser quelle somme est réclamée au nom de chacun d’eux

à titre de dommages et intérêts en réparation de l’atteinte subie (qui doit également être explicitée dans les écritures) puisque le tribunal, dans ce cas, n’alloue pas des rémunérations, mais fixe des dommages et intérêts qui seront versés à chacun d’eux selon l’appréciation qui sera faite de l’atteinte subie par chacun.

Or force est de constater que la SAIF a, tant dans son assignation que dans ses dernières  conclusions, cité une dizaine de ses membres mais essentiellement à titre d’exemples et sans chiffrer pour chacun d’eux l’atteinte telle que subie et les dommages et intérêts devant leur revenir ; que la société demanderesse ne forme que des demandes globales pour l’ensemble des auteurs membres ce qui est antinomique avec le principe même de l’intérêt personnel des membres et qui rend ses demandes radicalement irrecevables au nom de chacun de ses membres faute de permettre au tribunal d’évaluer chaque contrefaçon et chaque réparation et qui interdit également à la SAIF de répartir les sommes revenant à chacun.

 

En conséquence, la SAIF est irrecevable à agir au nom de ses membres faute de les dénommer à l’exception de dix d’entre eux et faute pour ceux-là de décrire la contrefaçon auteur par auteur et de chiffrer également auteur par auteur les sommes demandées à titre de réparation.

  

-sur la recevabilité de la SAIF au titre de l’intérêt collectif de ses membres.

 

La SAIF a pour mission de représenter les intérêts des professions de photographes, architectes, designers, dessinateurs, graphistes, illustrateurs, peintres, plasticiens et sculpteurs ; elle représente plus de 9.000 auteurs français ou d’autres nationalités.

 

Ses demandes formées dans l’intérêt des professions qu’elle représente et dans le but de prévenir d’éventuelles contrefaçons sont recevables et conformes à ses statuts.

 

-sur la loi applicable

 

La société GOOGLE Inc ne conteste pas la compétence de la juridiction française mais sollicite l’application de la loi américaine au motif qu’en application de l’article 5§2 de la convention de Berne du 9 septembre 1886, la loi applicable au litige est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée ; que cette loi n’est pas nécessairement celle du tribunal saisi mais celle du pays où le fait générateur et non le dommage est subi, que la jurisprudence récente et affirmée de la Cour de Cassation a entériné cette interprétation du texte dans deux arrêts l’un dit Sisro du 5 mars 2002 et l’autre dit Lamore du 30 janvier 2007; qu’en l’espèce, les serveurs rendant accessible l’accès au site www.google.fr sont situés en Californie, que la technologie de base du moteur de recherches Google Images appartient à la société GOOGLE Inc et que le siège social de la société GOOGLE Inc est situé aux Etats-Unis.

 

La SAIF répond que l’implantation du serveur permettant l’accès au site www.google.fr n’est pas démontré par la société GOOGLE Inc , que s’agissant de délits complexes comme des atteintes au droit d’auteur commis sur internet, aucune règle de conflit ne répond de manière évidente à la question de la loi applicable, que la jurisprudence retient comme loi applicable celle du lieu où le dommage est subi, que la doctrine a largement condamné les récentes décisions de la Cour de Cassation qui, en tout état de cause, ne statuent pas sur des cas similaires.

Elle a contesté l’application de la loi où sont implantés les serveurs puisqu’il suffirait d’implanter les serveurs dans des pays sans loi de protection des droits d’auteur pour ne plus voir aucune droit d’auteur préservé.

 

Sur ce

 

Les parties sont d’accord pour dire que l’article 5 de la convention de Berne qui dispose:

 

« (1) Les auteurs jouissent, en ce qui concerne les œuvres pour lesquelles ils sont protégés en vertu de la présente Convention, dans les pays de l'Union autres que le pays d'origine de l'œuvre, des droits que les lois respectives accordent actuellement ou accorderont par la suite aux nationaux, ainsi que des droits spécialement accordés par la présente Convention.

 

(2) La jouissance et l'exercice de ces droits ne sont subordonnés à aucune formalité; cette jouissance et cet exercice sont indépendants de l'existence de la protection dans le pays d'origine de l'œuvre. Par suite, en dehors des stipulations de la présente Convention, l'étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l'auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d'après la législation du pays où la protection est réclamée.

 

(3) La protection dans le pays d'origine est réglée par la législation nationale. Toutefois, lorsque l'auteur ne ressortit pas au pays d'origine de l'œuvre pour laquelle il est protégé par la présente Convention, il aura, dans ce pays, les mêmes droits que les auteurs nationaux.  »,

doit s’appliquer au présent litige.

 

Pour apprécier l’étendue de la protection accordée à des délits complexes tels que des contrefaçons de droit d’auteur intervenant sur différents états signataires de la convention, il convient de se référer à la loi du pays sur le territoire duquel se sont produits les agissements incriminés. C’est la notion de lieu où le fait générateur de la contrefaçon a été réalisé qui est retenue pour déterminer la loi applicable au litige et non celle du lieu où le dommage est subi.

 

L’arrêt Lamore du 30 janvier 2007 consacre cette interprétation et dit que s’agissant d’une contrefaçon poursuivie en France du fait de la distribution du film WATERWORLD, le territoire où l’agissement délictueux a été généré doit être retenu et non celui où le dommage est subi, et décide en conséquence que la loi applicable est la loi américaine, celle du lieu de la conception, de la création et de la représentation du film.

 

Dans le présent litige, les agissements allégués de contrefaçon sont réalisés d’une part par la collecte des images et leur référencement par le moteur de recherches Google Images et d’autre part par l’accès au serveur www.google.fr.

 

Il est manifeste que cette activité, à savoir celle de développeur de moteur de recherches, est l’activité centrale et première de la société GOOGLE Inc  et que c’est donc le siège social de la société GOOGLE Inc qui est l’endroit où les décisions sont prises et où l’activité de moteur de recherches est mise en oeuvre au sein des locaux de la  société GOOGLE Inc qui doit déterminer la loi applicable au litige.

 

En conséquence, il sera fait application de la loi américaine sur la protection des droits d’auteur et donc du Copyright Act de 1976.

 

Sur la contrefaçon au regard du Copyright Act

 

L’article 106 du Copyright Act de 1976 prévoit que le titulaire des droits d’auteur a le droit exclusif de faire et d’autoriser la reproduction des images des oeuvres protégées.

 

Ainsi, le droit de reproduction et de représentation est protégé et soumis à autorisation.

 

L’article 107 prévoit des exceptions à ces droits exclusifs reconnus aux auteurs et retient des critères à envisager pour apprécier si l’exception est légitime.

 

L’article 107 du Copyright Act de 1976 dispose :

“Par exception aux dispositions des articles 106 et 106A, l’usage légitime d’une oeuvre protégée, y compris lorsqu’un tel usage est réalisé par reproduction de copies ou de phonogrammes ou par tout autre moyen visé dans le présent article, à des fins notamment de critiques, de commentaires, d’actualités, d’éducation (y compris les copies multiples en vue d’une utilisation en classe) de culture ou de recherche, n’est pas une contrefaçon de droit d’auteur. Pour déterminer si l’usage d’une oeuvre dans un cas particulier, est un usage légitime, les facteurs à considérer sont les suivants :

            1-les buts et les caractéristiques de l’usage, notamment si la nature de l’usage est commercial ou s’il poursuit des objectifs économiques non lucratifs,

            2-la nature des oeuvres protégées,

            3-l’étendue et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’oeuvre protégée dans son ensemble,  

            4-l’incidence de l’usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre protégée.

         

Les arrêts versés au débat par les parties établissent également qu’il appartient à celui qui poursuivi pour contrefaçon, allègue l’application de l’article 107 de démontrer que les conditions de l’article 107 sont remplies.

 

En l’espèce, la société GOOGLE Inc argue du caractère non commercial du moteur de recherches Google Images, du caractère transformatif de ce service, de l’indexation des images sous forme de vignettes et de l’absence de stockage des images, de l’incidence positive de l’activité du moteur de recherches Google Images sur la connaissance des auteurs et de leurs oeuvres par le public

 

La SAIF a contesté le caractère gratuit du service et a indiqué que l’étendue de l’exploitation était telle qu’elle était incompatible avec l’exception de “fair use”.

 

L’activité de moteur de recherches est une activité non lucrative en soi et permet un accès absolument gratuit et universel à tous les internautes sans condition d’inscription ou de paiement de redevances.

 

Les résultats naturels du moteur de recherche s’apparentent à un mélange de dictionnaire, d’encyclopédie  et d’annuaire.

 

La condition première de l’article 107 qui permet une reproduction d’une oeuvre protégée pour “fair use” notamment pour des activités de recherche ou pour des activités culturelles est ainsi remplie.

 

En effet, le moteur de recherches Google est un outil qui  recherche toutes les informations qui circulent sur la toile, les référence et les indexe ; en l’espèce, le moteur de recherches Google Images effectue ce travail pour toutes les informations concernant des images de toute sorte ; il les recherche, les identifie, les référence dans leur contexte, les associe à des mots-clés et permet leur rencontre avec l’internaute. La société GOOGLE Inc ne réalise pas d’exploitation autonome des images qu’elle indexe

 

Il répond donc à la condition d’activités culturelles.

 

Le terme “notamment” utilisé dans cet article permet de dire que la liste mentionnée n’est pas limitative et permet d’accueillir des cas nouveaux.

 

L’activité du moteur de recherches Google Images n’est pas lucrative en soi , elle ne génère pas directement de revenus.

 

Seule l’association de liens dit adwords en parallèle à cette activité est génératrice de revenus et permet à l’entreprise de se développer et de vivre. Elle permet de laisser l’accès totalement libre et gratuit à ce moteur de recherches.

 

La première condition est donc totalement remplie.

 

La deuxième condition (la nature des oeuvres protégées) en l’espèce des images n’a pas été débattue par les parties;

 

Pour ce qui est de la troisième condition (l’étendue et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’oeuvre protégée dans son ensemble) la société GOOGLE Inc fait valoir qu’elle ne stocke pas les images, ne les exploite pas et qu’elle les expose en vignette sur la  page de résultat pour permettre à l’internaute de visualiser le résultat.

 

La SAIF répond qu’il s’agit d’une dénaturation de l’image et que la mémoire cache correspond à un stockage.

 

La réduction de l’image à la taille de vignette et dans une résolution moins bonne que celle qu’avait l’image sur son site d’origine ne peut, en l’espèce, être considérée comme une dénaturation mais bien plutôt comme l’adaptation à la nécessaire information de l’internaute qui devra s’il veut avoir une image de bonne résolution se rendre à l’adresse du site mentionné sous la photographie. Elle répond à la seule nécessité d’informer l’internaute.

 

En tout état de cause, la dénaturation de l’image ressort du droit moral des artistes et non de leur droit patrimonial qui est le seul apporté à la SAIF.

 

Il est également reproché à la société GOOGLE Inc de stocker pendant un temps les images dans des mémoires caches.

 

Or, contrairement a ce que prétend la SAIF, ce stockage temporaire et automatique intervient au niveau des serveurs, sans aucune intervention volontaire de la société GOOGLE Inc .

 

Il s’agit en effet d’opérations dites de “caching” qui consistent à enregistrer  temporairement les données disponibles sur le réseau auxquels les abonnés accèdent fréquemment dans le but de préserver, voire d’améliorer la fluidité de leur transmission. Ces caches sont d’ailleurs utilisés par des entreprises assez grosses pour accélérer et améliorer l’accès de leurs employés au réseau intranet et internet ou par les fournisseurs d’accès à internet.

 

La troisième condition de l’exception de “fair use” est également remplie.

 

La dernière condition (l’incidence de l’usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’oeuvre protégée) permet de vérifier l’incidence économique de l’usage toléré.

 

L’indexation des images trouvées sur le net par le moteur de recherches Google Images sous forme de vignettes ne se substitue pas aux oeuvres elles-mêmes et n’empêche aucunement les  créateurs d’exploiter leurs oeuvres.

 

En effet, ils sont nombreux à avoir ouvert leurs propres sites sur lesquels les images indexées ont été trouvées et donc à faire la promotion de leurs oeuvres sur le net.

 

La mise à disposition aux internautes des vignettes à titre informatif sur la page de résultat ne nuit pas la possibilité pour la demanderesse d’exploiter les oeuvres de ses membres et permet au contraire une diffusion et une connaissance des oeuvres par le biais de cet outil de recherche accessible à tous.

 

Enfin, la SAIF ne démontre pas que les professions qu’elle représente ont vu l’exploitation de leurs images chuter du fait de la représentation des photographies de ses membres sous forme de vignettes sur la  page de résultat du moteur de recherches Google Images.

 

N’ayant pas mis en place elle-même une banque d’images des oeuvres de son répertoire, elle ne rapporte pas la preuve de ce que sa propre activité aurait chuté dans ce cadre.

 

La quatrième condition de l’exception de “fair use” étant également remplie, il convient de dire que au regard de la loi américaine, aucune contrefaçon des photographies représentées sous forme de vignette sur la  page de résultat du moteur de recherches Google Images n’est commise par la société GOOGLE Inc  et de débouter la SAIF de l’ensemble de ses  demandes.

 

-sur les autres demandes

 

L’exécution provisoire est compatible avec la nature de l’affaire, elle est nécessaire et sera  ordonnée.

 

Les conditions sont réunies pour condamner la SAIF à payer à la société GOOGLE Inc et à la société Google France la somme globale de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

 

PAR CES MOTIFS

 

Statuant par remise au greffe et par jugement contradictoire et en premier ressort,

 

Met hors de cause la société Google France.

 

Déclare la SAIF irrecevable à agir au nom de ses membres faute pour elle de décrire précisément les contrefaçons alléguées et de détailler les sommes réclamées au nom de chacun d’eux.

 

Déclare la SAIF recevable à agir au nom de l’intérêt collectif des professions qu’elle représente.

 

Dit que le litige est soumis à l’application de la loi fédérale américaine et spécifiquement au Copyright Act de 1976.

 

Déclare les demandes de la SAIF mal fondées.

 

L’en déboute.

 

Condamne la SAIF à payer à la société GOOGLE Inc et à la société Google France la somme globale de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile .

 

Ordonne l’exécution provisoire de la présente décision.

 

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

 

Condamne la SAIF aux dépens qui pourront être recouvrés directement par le cabinet Herbert Smith, avocat, par application des dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

 

 

FAIT ET RENDU A PARIS LE VINGT MAI DEUX MIL HUIT./.

 

 

LE GREFFIER                                              LE PRÉSIDENT

 

 

 

 

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