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Rubrique : professionnels / Branche : droit des obligations ; preuve ; responsabilité / Domaine : commerce électronique BtoC
Citation : Guillaume Teissonnière , La responsabilité de plein droit des cybercommerçants existe-t-elle ? , Juriscom.net, 21/10/2004
 
 
La responsabilité de plein droit des cybercommerçants existe-t-elle ?

Guillaume Teissonnière

édité sur le site Juriscom.net le 21/10/2004
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L’article 15 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (la « LCEN ») a instauré un régime de responsabilité de plein droit applicable à tout exploitant de services en ligne. En vertu de cet article, toute personne physique ou morale exerçant une activité de commerce électronique « est responsable de plein droit à l’égard de l’acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci ». Les seules causes d’exonération de responsabilité prévues sont la faute de l’acheteur, le fait imprévisible et insurmontable d’un tiers étranger à la fourniture de la prestation ou le cas de force majeure.

 

Un régime qui soulève de nombreuses incertitudes

 

Il va sans dire qu’avec un tel régime, les exploitants de services en ligne risquent de voir leurs clauses limitatives de responsabilité balayées d’un revers de main par les juridictions saisies de contentieux en responsabilité contractuelle.

 

Il est vrai que dans le cadre de relations entre commerçants et consommateurs, l’article L. 132-1 du Code de la consommation prohibant les clauses abusives limite fortement la capacité du professionnel à aménager sa responsabilité à l’égard de ses clients. Certains juristes considèrent d’ailleurs que ce nouveau régime n’apporte rien au droit existant.

 

Il existe cependant des hypothèses dans lesquelles un professionnel agissant en qualité d’intermédiaire peut valablement exclure sa responsabilité vis-à-vis du consommateur. L’un des exemples les plus caractéristiques concerne les agences de voyages vendant à leurs clients de simples billets d’avion ou de train. Pour ces prestations, la jurisprudence admet depuis longtemps que seul le transporteur est responsable des manquements aux obligations du contrat de transport. Mais avec le nouveau régime instauré par la LCEN, l’agence de voyages en ligne pourrait aujourd’hui se retrouver responsable de toute inexécution du contrat de transport alors que l’agence de voyages hors ligne resterait protégée par le régime spécial (à moins que le régime spécial des agences de voyages ne prévale sur le régime général du commerce électronique ?).

 

En outre, l’article 15 de la LCEN étant applicable aux relations entre professionnels, qu’adviendra-t-il des clauses limitatives de responsabilité omniprésentes dans les contrats conclus entre professionnels ? Pourront-ils déroger à cette disposition de la LCEN ou non ?

 

Toutes ces problématiques juridiques ont plongé les exploitants de services en ligne dans un nuage d’incertitude sur le périmètre réel de leur responsabilité contractuelle (Sur ce point, V. note, C. Rojinsky et G. Teissonnière, "L’encadrement du commerce électronique par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : Principes généraux", JCP G, act 405).

 

Un régime qui pourrait être privé de tout effet juridique

 

Toutefois, ce nuage d’incertitude pourrait être brutalement dissipé par le non respect par l’Etat français d’une procédure de notification imposée par le droit communautaire.

 

En effet, afin d’assurer le respect de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation des services, la Communauté européenne a mis en place une procédure dite « Transparence » destinée à contrôler a priori les projets de règles nationales susceptibles de créer des barrières commerciales injustifiées entre les Etats membres. Selon cette procédure, codifiée par la directive n° 98/48/CE du 20 juillet 1998 (JOCE L 217 du 05/08/1998, p. 18), les Etats membres de l'Union européenne doivent notifier à la Commission et aux autres Etats membres tout projet de règle technique relatif aux services de la Société de l'Information avant que ceux ci ne soient adoptés en droit national.

 

La Cour de Justice (CJCE, CIA-Security, 30/04/96, Aff. C-194/94 et Lemmens, 30/06/98, Aff. C-226/97), reprenant la position de la Commission européenne, considère qu'une disposition nationale qui n'est pas notifiée conformément à la procédure « Transparence » est inapplicable et ne peut pas être opposée aux particuliers lorsqu’elle a pour effet d’entraver l’exploitation de produits ou la prestation de services.

 

L’absence de notification de l’article 15 de la LCEN

 

L’article 15 de la LCEN constitue une règle technique spécifique aux services de la société de l’information et la procédure « Transparence » lui est applicable. Le premier projet de la LCEN qui a été notifié par l’Etat français à la Commission européenne et aux autres Etats membres est l’avant-projet de loi relatif à l’économie numérique. Il ne contient aucune disposition relative à la responsabilité des personnes exerçant une activité de commerce électronique.

 

Le projet de loi adopté par l’Assemblée Nationale le 26 février 2003 a également été notifié par l’Etat français ; Ce projet comprend une disposition relative à la responsabilité des « cybercommerçants », mais sa teneur diffère significativement de celle de l’article 15 de la LCEN finalement adopté.

 

Or, toute modification significative d’un projet de loi concernant les services de la société de l’information oblige les Etats membres à procéder à une nouvelle notification. En conséquence, à suivre la jurisprudence de la CJCE, l’absence de notification de l’article 15 de la LCEN pourrait aboutir à ce que cet article soit déclaré inopposable aux exploitants de services en ligne.

 

Actions probables

 

Deux séries d’actions pourraient être engagées par les personnes exerçant une activité de commerce électronique :

 

1) Au niveau national, l’argument du défaut de notification communautaire de l’article 15 de la LCEN devrait vraisemblablement être invoqué comme moyen de défense pour repousser les prétentions d’une partie invoquant ce régime de responsabilité de plein droit. L’argument serait ainsi exploité à titre défensif et pourrait, le cas échéant, aboutir à la saisine de la Cour de Justice des Communautés européennes, dans le cadre d’un recours préjudiciel exercé par le juge national.

 

2) Au niveau communautaire, des démarches plus actives pourraient êtres engagées dans la mesure où le non-respect par la France de la procédure de notification prévue par la directive n° 98/48/CE constitue un manquement de celle-ci à ses obligations communautaires. Une procédure en manquement d’Etat, initiée par une plainte auprès des services de la Commission européenne apparaît donc envisageable.

 

De telles actions au niveau national et communautaire pourraient très bien survenir parallèlement. En effet, les délais de procédure propres aux actions en manquement d’Etat sont extrêmement longs et il est fort probable qu’un juge français ait à trancher un litige sur le fondement de l’article 15 de la LCEN avant l’issue d'une procédure communautaire.

Guillaume Teissonnière
Avocat au Barreau de Paris
http://www.teissonniere.net
gt@teissonniere.net

A lire : à propos de la notification imposée par le droit communautaire, voir Benoît Tabaka, "La notification des textes encadrant la société de l'information et le casse-tête du droit parlementaire français", Légipresse n°215, octobre 2004, p.114.

 

 


 

 

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