Les plateformes électroniques permettent de télécharger des fichiers, dénicher un objet de collection… et peut-être trouver l’être aimé ! Version technologique du « meat market » (expression dont Wikipedia propose une définition), les sites de rencontre bâtissent leurs succès sur des promesses de relations. Or, juridiquement, les promesses ne sont pas neutres.
Des attentes déçues, des représentations erronées, et même des fantasmes qui retombent… c’est finalement vers la robe du magistrat que se tournent des utilisateurs aigris. Ainsi en témoignent quelques affaires, dont on ignore si elles resteront anecdotiques ou annoncent une tendance de fond.
Existe-t-elle vraiment ?
C’est ce que s’est demandé Robert A., utilisateur du service de rencontres d’un célèbre outil de recherche. Selon lui, le site crée de faux profils, et maintient en ligne les notices écrites par des personnes qui ont abandonné le service. Il a attaqué le site pour - entre autres - responsabilité contractuelle, fraude, pratiques déloyales et trompeuses. Dans cette affaire, l’exploitant du site a tenté de faire échec à la demande, au motif qu’il a le statut de simple hébergeur. L’argument n’a pas eu de succès (Anthony v. Yahoo! Inc., 2006 WL 708572 [N.D. Cal., 17 mars 2006]), et l’affaire fera bientôt l’objet d’un jugement au fond.
Est-elle vraiment comme l’indique l’annonce ?
Cette même société a en revanche été exonérée de responsabilité dans une autre affaire, plus douloureuse (Barnes v. Yahoo, 2005 WL 3005602 (D. Or., 8 nov. 2005)). Pour se venger de son ex petite amie, un excité avait créé plusieurs annonces où figuraient à la fois les coordonnées et des photos très intimes de celle-ci. Si la victime n’a pu obtenir la condamnation du site à l’origine de ses troubles, nul doute qu’elle pourra obtenir la condamnation civile et pénale de l’auteur des faits. Cette affaire rappelle d’ailleurs l’une des premières décisions judiciaires françaises relatives à internet, condamnant le jeune homme qui avait mis en ligne des photos de son ex légendées de commentaires salaces (T.Corr. Privas, 3 sept. 1997, Juriscom.net).
Il avait une touche avec elle, et puis…
Lui s’était inscrit à « JDate.com », qui annonce être « the world’s largest Jewish singles community » et garantit à ses abonnés de trouver des « high-quality, successful Jewish personals without wasting precious time ». En utilisant le service, il a dialogué en ligne avec « SuperFriendlyGal », qui se présentait comme une femme seule de 34 ans. Lors de la conversation, elle a utilisé quelques termes coquins, puis annoncé qu’elle venait certainement de trouver en lui l’homme de sa vie… Quand il a ensuite cherché à la joindre via le réseau téléphonique du site, il ne put qu’essuyer un message vocal lui disant qu’il était éconduit ! Alors il assigne le site pour obtenir réparation de son grave préjudice psychologique (Man sues online dating service after being rejected, Nbc4.tv, 20 sept. 2005). Et quand elle lui posera un lapin, il attaquera en justice ?
Celui-ci, il n’est pas sérieux !
Voici maintenant un homme qui est séparé de sa femme, mais toujours en procédure de divorce. Il est visiblement du genre prévoyant et veut préparer l’avenir : notre homme cherche donc à s’inscrire sur un important site de rencontre. Le problème est que ce site ne veut pas de lui : les conditions générales d’utilisation proscrivent l’inscription de personnes mariées. Juriste de métier, le prétendant à l’abonnement a attaqué le site pour discrimination liée au statut matrimonial (Married lawyer sues U.S. dating Web site for refusing to help him find love, Associated Press, 28 mars 2006). Selon lui, ce n’est pas au site, mais aux dames de décider en fonction du statut du prétendant. D’ailleurs, comment en savoir plus sur les intentions de la personne que l’on va rencontrer ?
Se renseigner avant le rendez-vous
L’expérience conduit à la prudence… S’inspirant peut-être des méthodes d’évaluation des acheteurs et vendeurs sur les sites de courtage aux enchères, le site « Dontdatehimgirl.com » donne aux femmes des informations sur la conduite passée de messieurs volages (J. Hilden, Can men sue when women post their photos and accuse them of infidelity, FindLaw.com, 28 mars 2006). En droit français, un tel site violerait la loi sur les données personnelles, attenterait à la vie privée des hommes ainsi dénoncés, et aurait probablement un contenu diffamatoire (cf. à propos du site « annuaire-des-cons.com », TGI Nice, réf., 28 mars 2002, CCE 2002, n° 137, obs. A. Lepage ; D. 2002, AJ p. 2255, obs. C. Manara).
Aujourd’hui, la popularité des sites de rencontre a d’abord d’autres incidences : combien de milliers d’heures de travail ont été consacrées à la fréquentation de ces sites par des salariés plus soucieux de leurs relations personnelles que de leurs relations de travail ? C’est d’abord le droit du travail qui pourrait trouver à s’appliquer en la matière.
Au-delà, la déception amoureuse liée à l’utilisation d’un site spécialisé peut-elle conduire au palais de justice ? On peut en douter, car, sur internet comme en mariage, “il trompe qui peut” (Loisel, Institutes coustumières, ou Manuel de plusieurs et diverses reigles, sentences, & proverbes tant anciens que modernes du droict coustumier & plus ordinaire de la France, 1608) !
Cédric Manara
Professeur associé, EDHEC Business School
Membre du comité scientifique de Juriscom.net