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Rubrique : actualités / Branche : propriété littéraire et artistique / Domaine : droits d'auteur et droits voisins
Citation : Juriscom.net, Olivier Sasserath , P2P: les fournisseurs d'accès sommés de fermer le robinet ! , Juriscom.net, 05/07/2007
 
 
P2P: les fournisseurs d'accès sommés de fermer le robinet !

Juriscom.net, Olivier Sasserath

édité sur le site Juriscom.net le 05/07/2007
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L’échange de fichiers musicaux via les réseaux peer-to-peer constitue toujours un problème important pour l’industrie musicale. Si l’illégalité de tels échanges ne fait pas de doute au regard du droit d’auteur, les ayants droit éprouvent d’énormes difficultés à enrayer ce phénomène. D’actions contre les internautes et les fournisseurs de logiciels peer-to-peer en saisie de serveurs, les affaires judiciaires se multiplient, ne donnent pas toujours les résultats escomptés et, surtout, vu les possibilités techniques, elles ne sont pas d’une grande efficacité : dès qu’une source d’approvisionnement est éliminée, une autre devient disponible.

 

Ne vaut-il dès lors pas mieux s’adresser aux plombiers de l’internet, ceux qui ont la main sur le robinet et par lesquels les flux d’informations passent obligatoirement, les fournisseurs d’accès ?

 

C’est sans doute le raisonnement sous-jacent à l’action en cessation [Juriscom.net] introduite par la SABAM, principale société de gestion de droits pour les auteurs-compositeurs en Belgique, à l’encontre du fournisseur d’accès Tiscali (devenu entre temps Scarlet) devant le Président du Tribunal de première instance de Bruxelles.

 

Dans une première décision du 26 novembre 2004 [Juriscom.net], le Président confirma la possibilité d’introduire une action en cessation fondée sur une violation de droits d’auteur à l’encontre d’un intermédiaire fournisseur d’accès et ce même si ledit fournisseur d’accès peut bénéficier du régime d’exemption de responsabilité prévu dans la directive européenne 2000/31/CE (généralement appelée “Directive Commerce électronique”). L’action en cessation ne suppose en effet aucun constat préalable de faute, et donc de responsabilité, dans le chef de l’intermédiaire et la question de la responsabilité n’est donc pas relevante dans le cadre d’une action en cessation.

 

La messe n’était cependant pas encore entièrement dite. Si la possibilité théorique d’un ordre de cessation à l’encontre de fournisseurs d’accès était ainsi confirmée, restait à examiner si cette personne a, dans les faits, la possibilité matérielle de donner suite à un tel ordre. Le Président ordonna une expertise à ce sujet et la réouverture des débats.

 

Dans son rapport déposé le 3 janvier 2007, l’expert présente 11 solutions susceptibles d’être appliquées pour bloquer ou filtrer l’échange de fichiers, parmi lesquelles 7 applicables à Scarlet.

 

Sur base de ce rapport et des conclusions des parties échangées après le dépôt de celui-ci, le Président décide que des solutions techniques existent bel et bien pour faire cesser les atteintes aux droits d’auteur que constitue l’échange de fichiers musicaux via des réseaux peer-to-peer. En conséquence, il condamne Scarlet à implémenter de telles mesures afin d’empêcher les atteintes, dans un délai de 6 mois, et ce sous peine d’une astreinte de 2.500 euros par jour d’infraction. Scarlet est également condamnée à adresser à la SABAM un descriptif des mesures prises.

 

S’il n’impose pas de solution technique particulière dans le dispositif de sa décision, le Président mentionne expressément la solution “Audible Magic”, développée par la société CopySense Network Appliance. Ce programme permettrait d’identifier le contenu des fichiers échangés avec une banque de données reprenant plus de 70 % de la musique échangée en ligne.

 

Par ailleurs, le Président rejette les arguments de Scarlet concernant le possible encryptage des fichiers, de protection de vie privée ou de droit au secret de la correspondance. Les arguments découlant de l’application de la directive Commerce électronique subissent le même sort.

 

Concernant l’encryptage, le Président relève que la question d’un encryptage potentiel et futur ne peut pas faire obstacle à une mesure de cessation dans la mesure où cette mesure s’avère actuellement techniquement possible : “le juge de la cessation ne peut tenir compte de spéculations sur des évolutions techniques futures éventuelles, d’autant que celles-ci pourraient également faire l’objet d’adaptations parallèles au niveau des mesures de blocage et de filtrage”. En d’autres termes, le Président décide sur base d’une situation actuelle, sans préjuger de ce qui pourrait arriver à l’avenir ou de la pérennité des mesures qu’il ordonne.

 

Scarlet invoquait également que l’imposition de mesures de filtrage ou de blocage reviendrait à lui imposer une obligation générale de surveillance, prohibée par l’article 15 de la directive Commerce électronique.

 

Le Président juge à ce propos que les solutions de filtrage ou de blocage ne sont pas constitutives d’une obligation générale de surveillance mais sont des instruments techniques qui se limitent à bloquer ou filtrer certaines informations transmises dans ce réseau.

 

Il prend également soin de préciser que cette disposition a trait au système d’exemption de responsabilité mis en place par la directive et que l’interdiction vise en fait à éviter que le juge national puisse déduire une faute dans le chef de l’intermédiaire, du simple fait de la présence d’informations illicites sur son réseau et de l’absence de surveillance générale du contenu de celui-ci.

 

S’agissant d’un problème d’exemption de responsabilité, la question est donc sans incidence sur une action en cessation, où la responsabilité de l’intermédiaire n’est pas en cause.

 

Quant au fait que l’imposition de mesures filtrage ferait perdre à Scarlet son statut privilégié d’intermédiaire, sur le plan de la responsabilité, dès lors qu’elle sélectionnerait l’information transmise, le Président rejette cet argument entre autres au motif que les mesures de blocage ou de filtrage ayant un caractère purement technique et automatique, l’intermédiaire n’opère aucun rôle actif dans le filtrage.

 

Un point intéressant de la décision concerne l’attitude du Président face à l’argument concernant le traitement de données personnelles. Le Président estime tout d’abord qu’il n’y a pas de traitement de données personnelles dès lors qu’il n’y a pas d’activité impliquant l’identification d’internautes (la motivation sur ce point est sans doute sujette à discussion). Il ajoute ensuite que, quoi qu’il en soit, ce traitement serait justifié par les dispositions légales permettant le traitement de données personnelles « nécessaires à l’exécution d’un contrat ». Or, les conditions générales de Scarlet prévoient qu’il est interdit de d’effectuer une connexion qui viole les droits d’auteur et que Scarlet se réserve le droit de prendre des sanctions au cas où l’abonné enfreindrait cet engagement.

 

Enfin, le Président rejette également l’argument selon lequel l’imposition de mesures de filtrage ou de blocage pourrait avoir comme effet d’empêcher l’échange légal de fichiers. Le Président juge qu’il s’agira là d’un effet marginal et que cette circonstance ne permet pas de s’opposer à l’imposition de mesures de cessation. Le juge de la cessation ne peut refuser de prononcer des mesures visant à la cessation de l’atteinte en recourant à une balance d’intérêts qui pencherait en défaveur du plaignant, sauf dans le cas d’un abus de droit.

 

Comme déjà signalé, le Président n’impose pas de mesure particulière, en imposant d’implémenter l’une ou l’autre solution technique, malgré la référence explicite à un système particulier, mais bien une mesure extrêmement générale: “faire cesser les atteintes au droit d‘auteur constatées dans le jugement du 26 novembre 2004 en rendant impossible toute forme, au moyen d’un logiciel ‘peer-to-peer’, d’envoi ou de réception par ses clients de fichiers électroniques reprenant une oeuvre musicale du répertoire de la SABAM”. Le tout sous peine d’astreinte. Le caractère général de la mesure est à double tranchant : elle permet certes à Scarlet de choisir librement les mesures à implémenter, mais d’autre part, cette société s’expose au paiement d’une astreinte importante au cas où les mesures prises s’avèreraient insuffisantes ou dépassées par la technique.

 

N’aurait-il pas fallu assortir le jugement d’une possibilité de réviser la situation à l’aune des développements de la technologie ? L’avenir nous le dira sans doute. Cette décision constitue en tout cas une victoire importante des ayants droit.

 

Olivier Sasserath

Avocat au Barreau de Bruxelles

Marx Van Ranst Vermeersch & Partners

 

 


 

 

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