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Rubrique : internautes / Branche : propriété littéraire et artistique / Domaine : droits d'auteur et droits voisins
Citation : Jean-Christophe Bobable , Lutte contre le piratage : le billard à 4 bandes de l'industrie culturelle , Juriscom.net, 28/07/2004
 
 
Lutte contre le piratage : le billard à 4 bandes de l'industrie culturelle

Jean-Christophe Bobable

édité sur le site Juriscom.net le 28/07/2004
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A en croire certains, la lutte contre la contrefaçon massive réalisée au travers des réseaux peer-to-peer pourrait devenir un véritable sport (inter)national : actions en justice engagées dans la plupart des pays occidentaux, modifications législatives en cours, nouveaux textes communautaires tendant à renforcer la lutte contre la piraterie. La France n'est pas en reste.

 

En prenant le peu de recul que peut se permettre l'observateur attentif des évolutions législatives françaises, il est possible d'identifier une sorte de billard à 4 bandes – voulues ou non – de l'organisation de la lutte contre le piratage.

 

Premier coup - Renforcer les sanctions

 

Face aux chiffres annonçant la chute des ventes d'albums, de single et la baisse concomitante du chiffre d'affaire de l'industrie culturelle - avec le risque de voir être emportée par la même vague d'autres secteurs, le premier réflexe visible législativement a été celui du renforcement des sanctions en cas de contrefaçon.

 

En effet, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Loi Perben II) a modifié le quantum des peines applicables en matière de contrefaçon. Ainsi, la contrefaçon en matière de droit d’auteur ou de droit des marques est dorénavant punie de trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Par ailleurs, dès lors que les délits ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende.

 

Pour autant, cette mesure était limitée : les sanctions pénales, aussi dissuasives qu'elles puissent être, ne pouvaient permettre des actions massives afin de faire cesser le trouble "manifestement illicite".

 

Deuxième coup - Mettre en œuvre des procédures

 

Une deuxième mesure a donc été actée, dans le cadre de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Elle modifie l'article L. 332-1 du Code de la propriété intellectuelle en prévoyant que le président du tribunal de grande instance peut, par ordonnance sur requête, ordonner "la suspension par tout moyen du contenu d'un service de communication au public en ligne portant atteinte à l'un des droits d'auteur, y compris en ordonnant de cesser de stocker ce contenu ou, à défaut, de cesser d'en permettre l'accès".

 

En pratique, ce texte permet au juge, en matière de droits d'auteurs et de droits voisins, d'imposer aux fournisseurs d'accès à l'internet un filtrage de contenus contrefaisants diffusés sur la toile mondiale (filtrage des ports de réseaux peer-to-peer, filtrage de l'identité numérique des fichiers diffusés de manière illégale).

 

On pourrait également – mais sans doute de manière beaucoup moins voulue – citer la loi du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services audiovisuels. Ce texte facilite la modification unilatérale des contrats par les fournisseurs d'accès, leur permettant ainsi de procéder à l'ajout d'une clause leur octroyant le pouvoir de résilier le contrat d'un abonné condamné pour piraterie.

 

Mais pour autant, si ces mesures peuvent permettent de diminuer l'échange de fichiers, elles seront difficilement efficaces.

 

Troisième coup – Identifier les pirates

 

Une autre solution consiste à identifier les pirates, ces internautes qui diffusent voire – pour certains – téléchargent des fichiers. Mais comment les identifier manuellement compte tenu du nombre d'utilisateurs de ces réseaux ? En effet, et jusqu'alors, la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique et les libertés interdisait aux personnes privées de constituer des fichiers de fraudeurs, de personnes commettant des infractions.

 

Une solution est donc apparue : permettre la constitution de tels fichiers. Dans le cadre du projet de loi tendant à la transposition de la directive de 1995 et procédant à la modification de la loi de 1978, le Sénateur Türk a introduit par voie d'amendement une disposition permettant à des personnes privées de constituer des fichiers sur les fraudes et les fraudeurs dont elles sont la victime. Adopté en première lecture par le Sénat un 1er avril (sic.), la loi a finalement été adoptée définitivement le 15 juillet 2004 avant d'être déféré au Conseil constitutionnel.


Sauf surprise, la disposition devrait ressortir intacte de ce contrôle et donc entrer en vigueur avant la fin de l'été. Pour autant, il manquera un élément …

 

Quatrième et dernier coup – Clarifier les actes de piraterie ?

 

En effet, la situation est la suivante : 1/ la loi réprime plus sérieusement, 2/ on renforce les procédures permettant de limiter les actes illégaux  et 3/ on améliore l'identification des pirates.

 

Pour autant, a-t-on défini exactement le contour de l'interdit ? Tous les auteurs, commentateurs (autorisés ou non), s'accordent sur un point : l'échange de fichiers est un acte de contrefaçon dès lors qu'il constitue une diffusion sans autorisation d'une œuvre protégée.

 

Quid du téléchargement ? En effet, est-ce du recel d'une œuvre contrefaisante ? Est-ce une copie privée d'une œuvre réservée à l'usage unique du copiste ? Ce problème n'est pas réglé. La jurisprudence a jusqu'alors pris soin de ne pas prendre position sur ce sujet délicat.

 

Or, tel est la question essentielle. En effet, la solution la plus efficace et la plus rapide pour l'industrie culturelle pour procéder à l'identification des "contrefacteurs" n'est pas de rechercher de manière aléatoire sur l'internet des personnes diffusant des œuvres. Une solution plus efficace, dès lors que l'on se situe au pénal, est de mettre en place un serveur "test" sur lequel les internautes viendraient télécharger les œuvres.

 

Si tel est le cas, la question du statut du téléchargement se posera certainement. Dans ce cas, il y a de fortes chances que dans le cadre du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI), de nouveaux débats aient lieu afin de finir la boucle et donc de clarifier ce que l'on peut qualifier de piraterie.

 

En conclusion, on ne peut qu'être impatient de voir enfin surgir le débat parlementaire autour du projet de loi DADVSI. Attendu de longue date, il sera, après les zakouski qui nous ont été servis, le véritable plat de résistance dans le festin de la lutte contre la contrefaçon.

 

Jean-Christophe Bobable
Juriste en droit des NTIC
jc.bobable@caramail.com

 

 


 

 

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