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Rubrique : jurisprudence - texte / Branche : droit des obligations ; preuve ; responsabilité / Domaine : droits d'auteur et droits voisins
Citation : , TGI Paris, 15 avril 2008, Jean-Yves Lafesse c/ Dailymotion , Juriscom.net, 15/04/2008
 
 
TGI Paris, 15 avril 2008, Jean-Yves Lafesse c/ Dailymotion

édité sur le site Juriscom.net le 15/04/2008
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TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

3ème chambre - 1ère section, le 15 avril 2008

Jean Yves Lafesse, Daniel L., Hervé L., David M., SARL L. Anonyme, SARL Editions Nouvelles Gilbert M. c/ SA Dailymotion, SA StudioCanal, SA Canal+, SASU TF1 Video, SARL Sacha Production, SAS Dune

Mots clés : droit d'auteur - droits voisins - videos - site communautaire - reproduction (oui) - LCEN - qualité d'hébergeur (oui) - qualitié d'éditeur (non) - responsabilité (non retenue au principal)

Extraits :

"(...) - sur la qualité d’éditeur de la société DAILY MOTION

Les demandeurs font valoir pour établir que la société DAILY MOTION serait éditeur et non hébergeur de contenu qu’elle sélectionne la taille des fichiers et en modifie le contenu par réencodage et qu’elle fait des choix éditoriaux en imposant une certaine architecture au site et en percevant pour son compte des revenus publicitaires du fait des publicités qu’elle publie sur le site, et ce en application de l’article 9 de la loi du 21 juin 2004 dite LCEN.

L’article 6-1-2° définit les hébergeurs comme étant des personnes qui "mettent à la disposition du public par les services de communication au public en ligne, le stockage de signaux d’écrits, d’images, de son ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services".

L’article 6-1-7 de la LCEN dispose ensuite: "Les personnes mentionnées aux I et 2 (fournisseurs d’accès et hébergeurs) ne sont pas soumises à une obligation générale de surveillance et les informations qu’elles transmettent ou qu’elles stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites."

Les éditeurs sont définis conme étant “la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu ‘elle a créé ou dont elle a la charge.”

L’article 6-3-1° de la LCEN vise le cas de personnes éditeurs à titre professionnels et non professionnels.
Il n’est pas contesté que la société DAILY MOTION a créé un site à l’adresse www.dailymotion.com qui offre aux internautes un service de mise en ligne de leurs vidéos postées par eux-mêmes; que les internautes choisissent de partager largement ou de façon restreinte leurs vidéos. Le succès de ce site est tel que 15.000 vidéos nouvelles sont postées chaque jour par les internautes.

Le service d’éditeur de la société DAILY MOTION proposé aux motion makers ou aux official users n’est pas en cause dans ce litige.

Il convient donc d’apprécier au regard des seules dispositions de la LCEN si la société DAILY MOTION détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public.

La limite imposée par la société DAILY MOTION quant à la taille des fichiers acceptés est une contrainte technique et n’ implique aucun regard sur le contenu du fichier posté mais seulement une limite à ce que le serveur peut intégrer.

Le réencodage opéré par la société DAILY MOTION pour rendre compatible les fichiers postés est également une opération purement technique qui ne demande aucun choix quant au contenu de la vidéo postée.

Les deux premiers moyens soulevés par les demandeurs ne démontrent pas que la société DAILY MOTION détermine les contenus mis à la disposition du public mais établissent les limites techniques auxquelles sont confrontés la société DAILY MOTION et les internautes.

La société DAILY MOTION revendique avoir conçu l’architecture de son site en thèmes qu’elle a appelés chaînes pour proposer aux internautes un classement des vidéos de façon à pouvoir y retrouver les vidéos recherchées.
Les demandeurs soutiennent que l’organisation du site est un choix éditorial.

Or, au regard des dispositions de la LCEN ne constitue un choix éditorial que le choix des contenus des fichiers mis en ligne.

Le fait de structurer les fichiers mis à la disposition du public selon un classement choisi par le seul créateur du site ne donne pas à ce dernier la qualité d’éditeur tant qu’il ne détermine pas les contenus des fichiers mis en ligne.

Ainsi, il n’est pas démontré qu’un intemaute qui choisirait de classer sa vidéo dans une rubrique inadaptée se verrait rejeter a priori son envoi.

La commercialisation d’espaces publicitaires ne permet pas davantage de qualifier la société DAILY MOTION d’éditeur de contenu dès lors que rien dans le texte de loi n’interdit à un hébergeur de tirer profit de son site en vendant des espaces publicitaires tant que les partenariats auxquels il consent ne déterminent pas le contenu des fichiers postés par les internautes.

La LCEN n’a pas interdit aux hébergeurs de gagner de l’argent en vendant des espaces publicitaires et a volontairement limité au seul critère du choix du contenu effectué par la société créatrice du site, la condition à remplir pour être éditeur.

En refusant aux hébergeurs de vivre de la publicité, et en ajoutant ce critère à celui fixé par la loi, les demandeurs détournent le texte et tendent à dire qu’un hébergeur devrait refuser les revenus publicitaires alors que leur statut est défini dans une loi qui traite du commerce électronique.

Enfin, le moyen relatif à la possibilité d’un téléchargement offert par la société DAILY MOTION aux internautes, outre qu’il n’est pas établi par le procès-verbal de constat de l’APP du 11janvier 2008 qui ne précise pas comment l’huissier est allé chercher le lien “keepvid”, est inopérant au regard du seul critère dégagé par la loi LCEN, car il n’offre qu’un moyen technique aux internautes de conserver la vidéo sur leur disque dur ; il n’implique aucun contrôle du contenu du fichier par la société DAILY MOTION.

En conséquence, le contrôle des contenus des vidéos envoyées par les intenautes selon des choix fixés par un comité de rédaction propre au site n’étant pas démontré, la demande de qualification de la société DAILY MOTION comme éditeur sera rejetée.

- sur la responsabilité de la société DAILY MOTION comme hébergeur

La société défenderesse qui n’est pas éditeur a le statut d’hébergeur ; elle n’est en conséquence pas responsable a priori du contenu des vidéos proposées sur son site ; seuls les internautes le sont ; elle n’a aucune obligation de contrôle préalable du contenu des vidéos mises en ligne et elle remplit sa mission d’information auprès des internautes puisqu’elle démontre d’une part avoir mis en place des systèmes d’alerte et de signalement des vidéos à contenu illicite et d’autre part, qu’elle les avertit qu’ils ne peuvent proposer aucune vidéo reproduisant des émissions de télévision, de clips musicaux, de concerts ou de publicités sans avoir obtenu d’autorisation préalable.

Elle ne peut être tenue pour responsable que si les vidéos ont un caractère manifestement illicite ce qui, dans ce cas, l’oblige à déréférencer d’elle-même et sans attendre une décision de justice, les vidéos en matière de pédophilie, de crime contre l’humanité et d’incitation à la haine raciale.

Le texte ne vise expressément que ces trois cas pour ce qui est des documents ayant un caractère manifestement illicite qui entraînent une obligation de retrait immédiat volontaire de la société hébergeuse.

Pour tous les autres cas et notamment les cas de contrefaçon, le fournisseur d’accès qui stocke en vue de leur mise en ligne des signaux d’écrits, d’images et de sons de toute nature fournis par des destinataires de ces services, n’est tenu responsable que pour autant qu’il ait eu une connaissance effective du caractère manifestement illicite des vidéos stockées ou de faits faisant apparaître ce caractère.

La connaissance effective du caractère manifestement illicite d’une atteinte aux droits patrimoniaux ou moraux des auteurs ou producteurs ne relève d’aucune connaissance préalable et nécessite de la part des victimes de la contrefaçon qu’ils portent à la connaissance de la société qui héberge les sites des internautes, les droits qu’ils estiment bafoués, dans les conditions prévues à l’article 6-5 de la loi du 21 juin 2004.

En l’espèce, des internautes ont envoyé à la société DAILY MOTION des vidéos représentant les oeuvres de M. Jean-Yves Lafesse pour les voir mettre en ligne pour les rendre accessibles à d’autres intemautes sur le site DAILY MOTION. (...)

L’article 6-5 de la loi du 21juin 2004 prévoit explicitement que l’internaute qui veut faire cesser une mise en ligne qu’il estime constituer une atteinte à ses droits, doit adresser à l’hébergeur une demande qui identifie clairement les vidéos litigieuses de façon à permettre à la société qui n’a pour objet que de stocker et mettre en ligne ces oeuvres, de les reconnaître dans la masse des documents mis en ligne et de les retirer. Il doit faire la description des faits litigieux et donner leur localisation précise ainsi que les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits.

La société DAILY MOTION indique avoir retiré les vidéos litigieuses à compter de la nouvelle assignation en justice qui était accompagnée de l’ensemble des éléments permettant un retrait des vidéos litigieuses.

Or, force est de constater que les demandeurs se sont toujours refusés à lister avec précision les vidéos litigieuses, se contenant d’affirmer que leurs droits étaient bafoués mais sans donner les adresses url litigieuses et sans apporter les justifications des contrefaçons alléguées (preuve de la titularité sur les oeuvres et mentions des dispositions légales applicables). Ils n’ont communiqué les procès-verbaux de constat datant de 2006 que lors de l’assignation du 18 décembre 2006 en même temps qu’un seul DVD, la compilation LAFESSE DROITE LAFESSE GAUCHE, ainsi qu’ en atteste cet acte versé au débat. (...)

En conséquence, les prétentions des demandeurs fondées sur les autres titres que ceux contenus dans le DVD LAFESSE DROITE LAFESSE GAUCHE, telles que listées dans le tableau comparatif régulièrement mis au débat (pièces N°41 à 45) sont mal fondées faute de pouvoir vérifier quand la société DAILY MOTION a eu connaissance des sketches originaux contenus sur les autres DVD.

Les demandeurs en seront déboutés.

(...) En effet, les obligations de l’hébergeur telles que prévues dans le cadre de la loi LCEN lui imposent d’apprécier le caractère manifestement illicite des vidéos mises en ligne par ses abonnés, au regard des documents versés par les personnes qui se prétendent victimes de contrefaçon ; contrairement au tribunal qui ne peut se fonder sur une vraisemblance de titularité des droits pour apprécier des actes de contrefaçon et prononcer une éventuelle condanmation, les hébergeurs doivent devant la vraisemblance des actes de contrefaçon et la vraisemblance de titularité des droits résultant éventuellement des mentions portées sur les supports de diffusion des oeuvres communiqués, apprécier le caractère illicite des contenus mis en ligne.

La transmission des documents exigés par l’article 6-I.5 de la LCEN par les auteurs ou les producteurs s’estimant contrefaits a pour effet de créer une nouvelle obligation de vérification des contenus argués de contrefaçon au regard des droits allégués, nouvelle obligation qui pèse sur les hébergeurs qui ne peuvent se contenter d’attendre une éventuelle décision de justice et qui doivent dès lors agir promptement pour faire cesser cette atteinte sur la seule base du caractère vraisemblable de la contrefaçon.

En l’espèce, à compter du 18 décembre 2006, la société DAILY MOTION a eu connaissance des adresses url litigieuses contenues dans les procès-verbaux de constat, des oeuvres originales revendiquées par M. Jean-Yves Lafesse et contenues dans le DVD LAFESSE DROITE LAFESSE GAUCHE, et des droits revendiqués par M. Jean-Yves Lafesse au vu des mentions portées sur la jaquette du dit DVD ; il lui appartenait alors de vérifier si les vidéos arguées de contrefaçon reproduisaient tout ou partie des oeuvres divulguées dans le DVD, contrefaçon qui n’est dans ce présent litige pas contestée, et de retirer promptement les vidéos litigieuses ; il lui appartenait encore de faire en sorte, par les moyens appropriés qu’il lui incombe de déterminer et que le tribunal n’entend pas discuter puisqu’il n’entre pas dans sa compétence de préciser aux sociétés prestataires de service les moyens pour ce faire, mais seulement de donner éventuellement injonction de voir cesser toute diffusion des contenus manifestement illicites. (...)

Le tribunal ne peut donc statuer sur l’atteinte aux droits patrimoniaux commise par la société DAILY MOTION du fait de la diffusion de ces vidéos, faute de savoir qui est titulaire des droits patrimoniaux sur l’exploitation des droits VOD et il sera sursis à statuer sur ce point dans l’attente de la décision du tribunal de grande instance de Paris dans l’instance RG n° 07/132 14.

Pour ce qui est de l’atteinte au droit moral, M. Jean-Yves Lafesse qui est co-auteur des oeuvres contrefaites et seul interprète fait valoir que la mise en ligne est de mauvaise qualité, que les DVD qui sont une oeuvre en soi ont été coupés de même que les sketches eux-mêmes; que son oeuvre et son interprétation sont ainsi dénaturées.

Ces faits ne sont pas contestés par la société DAILY MOTION , il sera en conséquence alloué à M. Jean-Yves Lafesse la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du maintien en ligne de 20 séquences provenant du DVD LAFESSE DROITE LAFESSE GAUCHE pendant plusieurs mois.

Les circonstances ne justifient pas de prononcer une mesure de publication judiciaire sur le site dailymotion à titre de dommages et intérêts complémentaire.

- sur les droits de la personnalité.

Les atteintes aux droits de la personnalité que sont le droit à l’image et le droit au nom, alléguées par M. Jean-Yves Lafesse du fait de la mise en ligne des vidéos et des CD sur le site DAILYMOTION, sont le fait des intemautes et non de la société DAILY MOTION qui n’ayant pas la qualité d’éditeur ne peut être tenue pour responsable de ces atteintes.

Ces demandes sont mal dirigées à l’encontre de la société DAILY MOTION.

De plus, les mises en demeure n’alertaient pas la société DAILY MOTION d’une éventuelle atteinte au droit à l’image et au droit au nom des demandeurs car elles ne visaient que la contrefaçon des oeuvres audiovisuelles.

En tant qu’hébergeur, la société DAILY MOTION n’a donc pas été avisée d’une atteinte qui pouvait entraîner sa responsabilité si elle n’y mettait pas fin.

M. Jean-Yves Lafesse sera débouté de cette demande. (...)"

Texte intégral de la décision disponible au format PDF en téléchargement ci-dessous

 

 


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