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Rubrique : actualités / Branche : droit des obligations ; preuve ; responsabilité / Domaine : contenus et comportements illicites
Citation : Juriscom.net, Lionel Thoumyre , Responsabilité des hébergeurs : quelques mots sur l'affaire Wikimedia , Juriscom.net, 06/11/2007
 
 
Responsabilité des hébergeurs : quelques mots sur l'affaire Wikimedia

Juriscom.net, Lionel Thoumyre

édité sur le site Juriscom.net le 06/11/2007
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Wikimedia Fondation, propriétaire de l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipedia, a échappé à la condamnation pour la publication d’un article ayant imputé à trois personnes travaillant dans une société de conseil pharmaceutique certains faits relevant de leur vie privée.

 

Les requérants demandaient notamment 60 000 € à titre de provision sur dommages et intérêt et la communication des coordonnées exactes du rédacteur de l’article en cause.

 

Agissant en référé, ils reprochaient à Wikimedia Fondation les faits suivants :

- délit de diffamation à l’égard de la directrice de la société de conseil,

- refus de retirer le texte de l’historique du site internet Wikipedia malgré deux demandes formées par mail,

- atteinte à leur vie privée.

 

L’ordonnance du 29 octobre 2007 du TGI de Paris déboute les requérants de l’ensemble de leurs demandes.

 

Responsabilité des hébergeurs : un régime mince

 

Emmanuel Binoche, Premier Vice-Président du TGI, expose tout d’abord une disposition de la loi pour la Confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (dite LCEN – [Legifrance.gouv.fr]) qui encadre la mise en œuvre de la responsabilité civile des hébergeurs : « aux termes de l'article 6.I.2 les prestataires d'hébergement ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des informations qu'ils stockent s'ils n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ».

 

Il rappelle ensuite qu’aucune obligation générale de surveillance des informations stockées ou de recherche de faits et circonstances révélant des activités illicites ne peut être imputée aux hébergeurs (article 6.I.7 LCEN).

 

Le tribunal semble également refuser l’argument selon lequel la défenderesse serait être tenue d’une obligation particulière de rechercher des contenus diffamants ou portant atteinte à la vie privée de tiers en raison du risque que son activité fait peser sur leur survenance. Le juge indique ainsi « qu'il ne peut être considéré (…) que la défenderesse peut craindre que, de manière régulière, des internautes contribuant au contenu de l'encyclopédie présente sur son site peuvent être conduits à tenir des propos portant atteinte à la vie privée de tiers ou présentant un caractère diffamatoire ».

 

Faut savoir y mettre les formes

 

Pour autant, on ne peut pas considérer que les hébergeurs sont « irresponsables » ou bénéficie d’une totale impunité pour leur activité. Non, ils sont responsables, comme l’indique l’article 6.I.2, s’ils ont connaissance du caractère illicite des informations qu’ils hébergent. Cela implique deux choses : la connaissance du fait litigieux bien sûr et la connaissance du caractère illicite de ce fait.

 

Le Conseil constitutionnel a précisé qu’il faut que le caractère illicite de l'information dénoncée soit manifeste ou qu'un juge en ait ordonné le retrait (décision n°2004-496 DC – 10 juin 2004 – le Forum des droits sur l’internet avait d’ailleurs anticipé cette décision, sur le plan du droit pénal, dans sa Recommandation du 6 février 2003 sur le projet de loi LEN). Si tel n'était pas le cas, l’hébergeur – ni juge, ni avocat, ni juriste – imposerait davantage son interprétation du droit et serait conduit à censurer plus systématiquement des informations qui pourraient être parfaitement légitimes. Cela apparaîtrait certes plus protecteur du droit des tiers, mais négligerait la part qu’il faut savoir laisser à la liberté d’expression. La construction de la LCEN évite – dans une moindre mesure toutefois puisque bien des hébergeurs procèdent au retrait de contenus sur simple demande – que des pressions puissent être exercées sur ces intermédiaires. De telles pressions pourraient survenir, par exemple, pour obtenir le retrait d'un contenu simplement déplaisant pour un homme ou une femme politique, ou encore pour qu’une information secrète – concernant le fonctionnement malicieux de tel ou tel organisme – cesse d’être révélé au public.

 

Pour que l’hébergeur puisse obtenir la connaissance du fait litigieux, et avoir la possibilité de constater l’évidence de son caractère illicite, le législateur a instauré une procédure de notification à l'article 6.I.5. Cette procédure est certes « facultative », mais ses effets juridiques tendent à la rendre incontournable pour qui souhaite obtenir gain de cause devant les juridictions en cas d'inaction de l'hébergeur. Selon le Forum des droits sur l’internet, qui est à l’origine de l’article 6.I.5, une telle procédure présente le double avantage de limiter les « contestations non fondées » auprès de l’hébergeur tout en donnant à celui-ci « les éléments pour prendre clairement ses responsabilités » (voir Recommandation citée ci-dessus).

 

L'article 6.I.5 de la LCEN indique les éléments permettant à l’hébergeur d’avoir précisément connaissance des faits litigieux et des moyens de droit sur lesquels s’appuie la demande de retrait (notamment : "la description des faits litigieux et leur localisation précise ; - les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits"). Il s’avère que, sans ces éléments, l’hébergeur ne peut ni s’assurer du caractère sérieux de la demande de retrait, ni procéder rapidement au retrait de l'information litigieuse, pour peu que celle-ci lui apparaisse "manifestement illicite".

 

Or, les principaux éléments requis par l’article 6.I.5, permettant de présumer que l’hébergeur a bien acquis la connaissance des faits litigieux, n’ont pas été indiqués en l’espèce.

 

La LRAR, meilleure amie de la notification

 

Par ailleurs – ce n’est pas là une exigence de la LCEN mais celle du bon sens – il est important que le demandeur se ménage une preuve de la réception de la notification. Ce n’était pas non plus le cas en l’espèce.

 

Ces raisons, ainsi que la suppression de l’article litigieux de l’historique du site au jour de la réception de l’assignation, ont fait obstacle à la mise en œuvre de la responsabilité de Wikimedia Fondation.

 

L'obligation d'identification satisfaite

 

Les requérants demandaient en outre que leur soit délivrée l’identification exacte du rédacteur de l’article litigieux, en application de l’article 6-II de la LCEN qui stipule que « Les [fournisseurs d’accès et les hébergeurs] détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont elles sont prestataires (…) L'autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I des données mentionnées au premier alinéa ».

 

Wikimedia faisait valoir, elle, que les demandeurs disposaient déjà de plusieurs données telles que l’adresse IP du rédacteur correspondant à l’ordinateur personnel utilisé et que seul le fournisseur d’accès est en mesure de communiquer les données permettant d’identifier précisément l’utilisateur.

 

Le TGI a estimé qu’il n’était pas contestable que le fournisseur d’accès pouvait procéder à cette identification et que, d’autre part, il n’est pas démontré que Wikimedia disposait d’autres données d’identification.

 

La question du manifestement illicite manifestement éludée

 

La discussion aurait également pu porter sur le caractère « manifestement illicite », au sens de la réserve d’interprétation de la décision du conseil constitutionnel du 10 juin 2004, des informations en cause, étant entendu que si ces informations ne revêtent pas un tel caractère, l'hébergeur n'est pas tenu de les retirer.

 

Or, s’il est de jurisprudence constante qu’une atteinte à la vie privée ou une diffamation puissent consister en un « trouble manifestement illicite » pour la personne (voir par ex. CA Paris, 14° ch. Sect. A, 10 fév. 1999, Estelle H. Valentin L. ; CA Paris, 14° ch., sect. A, 7 nov. 2001), il est loin d'être évident qu’une information portant atteinte à la vie privée ou à caractère diffamatoire revête un caractère manifestement illicite (voir par ex. TGI Paris, référé, 19 octobre 2006, Mme H.P. c/ Google France  et Google Inc.).

 

Nous remarquerons que les deux notions sont bel et bien distinctes. Selon nous, le « caractère manifestement illicite » se rapporte à la nature juridique d’une information ou d’une activité alors que le « trouble manifestement illicite » est une caractéristique du dommage occasionné par un fait illicite ou délictueux, quel qu’il soit. La première notion s’applique à une cause là où la seconde s’intéresse davantage aux conséquences.

 

Il est dommage que cette discussion n'ait pas eu lieu car il est important que la jurisprudence précise régulièrement les contours du « manifestement illicite ».

 

Lionel Thoumyre

Consultant en Affaires Réglementaires IP/IT

Directeur de Juriscom.net

 

 


 

 

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