accueil actualité jurisprudence articles
 
 
 
Rubrique : jurisprudence - texte / Branche : droit des marques et des dessins & modèles / Domaine : hypermedia (liens hypertextes)
Citation : , TGI Nanterre, 13 octobre 2003, Sté Viaticum et Sté Luteciel c/ Sté Google France , Juriscom.net, 13/10/2003
 
 
TGI Nanterre, 13 octobre 2003, Sté Viaticum et Sté Luteciel c/ Sté Google France

édité sur le site Juriscom.net le 13/10/2003
cette page a été visitée 31225 fois

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE NANTERRE

2ème chambre, 13 octobre 2003

Sté Viaticum et Sté Luteciel c/ Sté Google France

Décision en appel

Extraits :

"(...) La version française du moteur de recherche "google" a été mise en place en avril 2000 avec l'utilisation du nom de domaine <google.fr>.

Parallèlement au moteur de recherches dont l'utilisation est gratuite, la société GOOGLE Inc. a développé à compter de l'année 2001 une offre payante de services publicitaires sur ses sites, selon deux programmes dénommés "Adwords" et "Premium Sponsorship". Dans des conditions spécifiques à chacun, et moyennant l'achat de mots clés, ces programmes permettent à des annonceurs d'apparaître sous forme de courte annonce comportant l'adresse de leur site Internet, sur la page de résultats de la recherche du moteur "google" dans un cadre ou un bandeau intitulé "lien commercial", dès lors qu'il existe une certaine concordance entre les mots-clés achetés par l'annonceur et ceux contenus dans la recherche demandée au moteur. Ces services publicitaires existent sur la version française du moteur "google".

Les sociétés VIATICUM et LUTECIEL exposent qu'elles se sont aperçues qu'en demandant au moteur de recherches "google france" une recherche sur les mots "bourse des voyages " ou "bourse des vols", correspondants à leurs marques, noms commerciaux et noms de domaine, s'affichent des liens commerciaux pointant vers les sites Internet de leurs concurrents tels que "evasion on line", "easy jet", "air portail" etc alors qu'elles n'ont jamais donné leur autorisation ni à la société GOOGLE, ni à ses concurrents d'utiliser leurs marques, ni leurs noms commerciaux ou noms de domaine.

N'ayant pas obtenu satisfaction à leurs demandes amiables tendant à interdire l'achat des termes précités par des annonceurs, les sociétés VIATICUM et LUTECIEL, après autorisation obtenue le 16 décembre 2002 dans les conditions de l'article 788 du nouveau Code de procédure civile, ont, par acte d'huissier de justice du 18 décembre 2002, assigné pour l'audience du 21 janvier 2003 la société GOOGLE FRANCE, lui reprochant des actes de contrefaçon de leurs marques "BOURSE DES VOYAGES" et "BOURSE DES VOLS" et des actes de concurrence déloyale commis à l'occasion du fonctionnement de son moteur de recherche sur le réseau Internet, et demandant au Tribunal de Grande Instance de NANTERRE de prononcer des mesures d'interdiction et de réparation de leur préjudice.

(...)

La société GOOGLE FRANCE fait état de travaux en cours par un groupe de réflexion dénommé "Forum des droits de l'Intemet" sur la définition juridique des moteurs de recherches d'une part, et du prochain dépôt d'un rapport de la Commission du Parlement européen (dans le cadre de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique) traitant notamment de la responsabilité des services de moteur de recherche d'autre part.

Elle demande au Tribunal de surseoir à statuer jusqu'à ce que les résultats de ces travaux soient publiés, et même, au cas où les propositions de la Commission contiendraient des recommandations en matière de "positionnement payant", jusqu'à la modification de la Directive précitée et à sa transposition en droit français.

Une telle demande de sursis à statuer n'est pas justifiée au regard des dispositions de l'article 378 du Nouveau Code de Procédure Civile. En effet le Tribunal est saisi d'un litige qu'il doit trancher en fonction de l'état du droit actuellement en vigueur et il ne saurait, sous peine de déni de justice, attendre une hypothétique nouvelle réglementation pour statuer.

(...)

6° Sur la contrefaçon (...)

La société GOOGLE FRANCE oppose sa bonne foi et le fait qu'elle n'aurait pas commis d'acte positif de contrefaçon. Mais d'une part la bonne ou la mauvaise foi est indifférente dans la commission des faits visés par l'article L. 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle et d'autre part l'intervention de la société GOOGLE FRANCE comme intermédiaire dans l'offre commerciale de ses annonceurs est incontestablement un acte positif de contrefaçon. En effet même si l'achat de ces liens publicitaires s'effectue généralement "en ligne" au moyen de procédures largement automatisées, il est clair que la société GOOGLE FRANCE intervient dans cette prestation ne serait-ce que comme fournisseur pour les clients français : c'est elle qui affirme sur son site qu'elle propose "Adwords" en français et en euro. Et elle est l'interlocuteur des clients dès que nécessaire, et notamment pour la vente classique (voir pièce 89 page 6).

Ensuite la société GOOGLE FRANCE reconnaît avoir un certain contrôle des mots clés dans la mesure où son directeur commercial affirme exiger que le choix des mots clés soit directement lié aux activités de la société qui demande à afficher de la publicité sur un thème (pièce 35).

Enfin la société GOOGLE FRANCE apporte elle-même la preuve qu'elle a pu satisfaire les réclamations de propriétaires de marques en supprimant les mots clés acquis par des tiers au mépris des droits attachés à ces marques.

Concernant les réclamations des sociétés VIATICUM et LUTECIEL, la société GOOGLE FRANCE en a tenu compte dans le système "Premium Sponsorship".

Mais le problème subsiste pour la publicité "Adwords". La société GOOGLE FRANCE dit n'avoir pas pu donner satisfaction aux sociétés VIATICUM et LUTECIEL parce que leurs exigences aboutiraient à interdire comme mot clé des mots descriptifs comme vol ou voyage.

Ainsi elle admet que même si les annonceurs n'ont acquis que les mots communs vol voyage ou bourse, leur annonce s'affiche automatiquement dès lors que l'un de ces mots figure dans la recherche de l'utilisateur de Google, en raison d'un système de "requête large" (broadmatch). Elle affirme qu'elle ne peut pas interdire le choix de tels mots communs par ses clients annonceurs.

En réalité elle a intérêt à ce système de requête large qui permet à un maximum d'annonces de s'afficher, ce qui augmente les chances d'attirer un client potentiel sur le site de l'annonceur ("taux de clic") et par conséquent augmente la rémunération de la société GOOGLE FRANCE.

Mais les choix économiques ou technologiques de la société GOOGLE FRANCE ne sauraient porter atteinte à des droits légitimement protégés. En l'espèce les sociétés VIATICUM et LUTECIEL sont fondées à demander le respect intégral de leur droit de propriété sur leurs marques, et à s'opposer à tout usage non autorisé.

II n'est pas établi que techniquement un meilleur "ciblage" ne serait pas possible ; par exemple si la requête est précisément "bourse des vols", la société GOOGLE FRANCE, sachant qu'il s'agit d'une marque protégée, devrait exclure qu'elle puisse déclencher l'affichage vers des annonceurs référencés même seulement sur une partie de l'expression.

Et il est inexact que cela aboutirait à interdire comme mot clé des mots descriptifs comme vol ou voyage: les sociétés VIATICUM et LUTECIEL ne pouvent pas opposer leurs marques pour interdire qu'une recherche sur un tel mot pris isolément fasse apparaître des liens commerciaux vers des concurrents.

En tout cas la société GOOGLE FRANCE ne saurait se retrancher derrière la technologie mise en oeuvre pour le fonctionnement de ses services de publicité, et il lui appartient, lorsque la recherche de l'internaute porte sur une marque déposée, de trouver le moyen d'empêcher les annonces de tiers concurrents n'ayant aucun droit sur ces marques.

Les sociétés VIATICUM et LUTECIEL sont donc fondées à demander la cessation et la réparation des actes de contrefaçon caractérisés ci-dessus.

Pour répondre à d'autres objections de la société GOOGLE FRANCE, il faut préciser que l'activité traditionnelle principale de moteur de recherches gratuit "google" n'est pas mise en cause mais seulement l'activité de vente d'espaces publicitaires entreprise par la société GOOGLE FRANCE et décrite par son directeur commercial dans les interviews versées aux débats.

Le moteur de recherches basé sur des critères objectifs n'est pas concerné dans le présent litige; ce n'est pas l'usage de la marque dans la requête de recherches donnée au moteur qui est illicite, mais l'utilisation commerciale qui est en est faite par la société GOOGLE FRANCE au profit de tiers dans ses services de publicité.

Et la société GOOGLE FRANCE ne saurait se retrancher derrière une qualité d'éditeur de moteur de recherches, ou de simple prestataire technique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, pour tenter de se soustraire à sa responsabilité.

7° Sur les autres faits reprochés

Les sociétés VIATICUM et LUTECIEL reprochent aussi à la société GOOGLE FRANCE d'avoir engagé envers elles sa responsabilité civile en commettant des faits prévus par l'article L.716-10 du Code de la Propriété Intellectuelle qui dispose

"Sera puni... quiconque ...aura sciemment livré un produit ou fourni un service autre que celui qui lui aura été demandé sous une marque enregistrée".

Mais cet article comme tout texte pénal doit être interprété strictement et en l'espèce la société GOOGLE FRANCE n'a rien fourni personnellement.

II n'y a donc pas lieu de retenir la substitution de produits réprimée par l'article L.716-10 du Code de la Propriété Intellectuelle.

II n'a pas lieu non plus de retenir la publicité trompeuse au sens de l'article L.121-1 du Code de la consommation parce que la société GOOGLE FRANCE a pu se méprendre sur l'étendue des droits conférés aux sociétés VIATICUM et LUTECIEL par leurs marques enregistrées et il n'est pas établi qu'elle ait voulu induire le consommateur en erreur sur l'identité du prestataire de services proposé dans les liens commerciaux.

Enfin puisque l'action principale en contrefaçon est accueillie il n'est pas nécessaire d'examiner la concurrence déloyale invoquée seulement à titre subsidiaire. (...)

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,

Rejette les exceptions d'irrecevabilité des pièces en anglais, de mise hors de cause de la société GOOGLE FRANCE et de sursis à statuer;

Rejette les demandes de la société GOOGLE FRANCE tendant à l'annulation des marques des sociétés VIATICUM et LUTECIEL pour défaut de caractère distinctif ;

Rejette les demandes de la société GOOGLE FRANCE tendant à l'annulation des marques des sociétés VIATICUM et LUTECIEL pour non exploitation ;

Dit que la société GOOGLE FRANCE a commis des actes de contrefaçon des marques "BOURSE DES VOLS", "BOURSE DES VOYAGES" et "BDV" au sens de l'article L.7132 a) du Code de la Propriété Intellectuelle ;

Condamne la société GOOGLE FRANCE à payer aux sociétés VIATICUM et LUTECIEL la somme de soixante dix mille euros (70 000€) en réparation du préjudice causé par l'usage illicite de leurs marques;

Interdit à la société GOOGLE FRANCE d'afficher des annonces publicitaires 'au profit d'entreprises offrant les produits ou services protégés par les marques "bourse des vols" "bourse des voyages" et "bdv", lors de la saisie sur le moteur de recherches d'une requête reproduisant les marques précitées, et ce sous peine d'astreinte de mille cinq cent euros (1500 â‚¬) par infraction constatée passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent jugement; (...)

Rejette le surplus des demande des sociétés VIATICUM et LUTECIEL ; (...)"

Téléchargez la minute orginale du jugement au format PDF en cliquant sur le lien ci-dessous.

 

 


Téléchargez le document au format PDF : tginanterre20031013.pdf

[pour enregistrer le fichier, cliquez sur le bouton droit de la souris et sélectionnez "enregistrer la cible sous..."]

 

 

accueil :: actualité :: jurisprudence :: articles :: présentation :: newsletter ::
liens :: contact :: design

© juriscom.net 1997-2010
Directrice de la publication : Valérie-Laure Benabou
Rédacteurs en chef : Mélanie Clément-Fontaine et Ronan Hardouin
Fondateur : Lionel Thoumyre
design blookat studio